Chroniques

par vincent guillemin

Philharmonia Orchestra
Hélène Grimaud et Esa-Pekka Salonen

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 10 juin 2013
 Esa-Pekka Salonen joue Le sacre du printemps à Paris
© sonja werner

Des cinq Sacre du printemps joués au Théâtre des Champs-Élysées lors de cette saison du centenaire de la création, le plus attendu (en version de concert) était certainement celui d’Esa-Pekka Salonen, qui enregistra une version passionnante et novatrice avec le Los Angeles Philharmonic en 2006.

La soirée affiche également le Concerto en sol majeur de Ravel et la Musique funèbre de Witold Lutosławski, pièce pour cordes d’environ quinze minutes, composée en 1955 pour le dixième anniversaire de la mort de Béla Bartók et achevée trois ans plus tard. Le recourt à une série de douze sons répartie en quatre groupes rend hommage au langage du compositeur hongrois. Malgré la connaissance qu’a Salonen de l’œuvre de Lutosławski dont il est actuellement l’un des grands défenseurs, le propos semble quelque peu rigide, à l’image du chef qui bouge peu et présente un discours distant, oubliant le timbre funèbre pour en faire surtout ressortir les accords d’une partition complexe. Dans cette seule optique, c’est fort bien fait, à condition qu’on n’y cherche pas d’émotion directe.

Le Concerto en sol de Maurice Ravel conduit malheureusement à de plus nombreuses critiques. Premièrement, le Philharmonia Orchestra est mal placé, avec les percussions tout au fond de la scène, en prévision du Sacre à venir, et les vents relativement loin derrière les cordes. Le fouet qui déclenche le premier mouvement s’en trouve à peine audible et augure du faible volume sonore des percussions pendant toute l’exécution. Les vents sont encore plus problématiques, avec un premier basson jouant franchement faux et des cors qui lui font concurrence. Mais le principal problème est la profonde différence de vision entre le chef et la soliste, Hélène Grimaud. Alors qu’il recherche la vitesse, dans un abord très américain façon Gershwin, la pianiste est beaucoup plus proche d’une vision française dénuée d’accords jazzy. De plus, elle ralentit parfois la dynamique et sa main gauche tombe souvent avec un léger temps de retard par rapport à l’autre. Le mouvement lent souligne le décalage de points de vue, Salonen poursuivant un propos changeant quand Grimaud se veut plus intime. Il arrive que deux artistes aux regards différents produisent des concerts magiques ; ce n’est pas le cas ce soir.

Malgré une première partie décevante, nous attendions beaucoup du Sacre du printemps. Les bois ne sont pas en forme et ni hautbois ni basson ne relèvent un niveau qui ne trompe pas : la formation que nous entendons ici ne maîtrise pas l’œuvre et ressemble à celui des versions des années cinquante, lorsqu’Ansermet ou Doráti se battaient avec les orchestres pour que les musiciens arrivent ensemble à la fin. Les augures printaniers ne convainc pas plus, car la dynamique des cordes créée par un legato délibéré altère complètement les attaques et limite ainsi leur puissance. Le percussionniste principal est souvent en léger décalage avec les premiers violons. Sans décortiquer plus, avouons gagner sans conviction la fin de la première partie, en subissant encore ce que nous pourrions presque appeler un « attentat musical » – une sonnerie de téléphone mobile donne Casse-noisette version Nokia pendant le long silence voulu par le chef.

La conception de Salonen semble celle d’un Sacre au sens littéral du terme, mais sans la force musicale nécessaire à sa réalisation. La seconde partie arbore une lenteur et un mysticisme rare, mais en aucun cas « sacré », et Le cercle mystérieux des adolescentes fait entendre une musique proche de celle de Charles Ives, se rapprochant peut-être d’un rite contemporain tournant franchement vers l’agnosticisme, mais loin du paganisme initial de l’œuvre.

Klemperer disait qu’en entendant une interprétation il savait reconnaître si le chef était lui-même compositeur, ce qui est clairement identifiable lorsque l’on écoute Esa-Pekka Salonen : chaque fois il nous en apprend sur une œuvre au fil d’une version que nous n’entendrons pas ailleurs. Il arrive cependant que certains concerts produisent moins d’effet qu’escompté, comme c’était le cas sur l’un des trois concerts du cycle Bartók, la saison dernière, alors que les deux autres étaient d’un très haut niveau [lire nos chroniques du 25 juin 2012, du 27 janvier 2012 et du 15 novembre 2011]. Même constat ce soir, malheureusement, avec ce concert au regard personnel mais inabouti.

VG