Recherche
Chroniques
Philharmonische Camerata Berlin
œuvres de Strauss, Tchaïkovski et Schönberg
Les six instrumentistes de l’illustre formation berlinoise ouvre leur concert parisien par le Sextuor qui introduit l'ultime opéra de Richard Strauss,Capriccio. Après les excès passionnants de Salomé et d'Elektra, le Bavarois avait peu à peu redécouvert le classicisme viennois, jusqu'à inscrire cet ouvrage achevé en 1942 dans une tradition dont il avait choqué les amoureux par ses audaces près de quatre décennies plus tôt. La présente interprétation s'affirme lumineuse, sans pour autant se laisser transcender d'aucune sorte d'éclairage. Après une introduction fort équilibrée, l'exécution développe un lyrisme plutôt contenu, en tout point conforme à la couleur particulière des cordes du vieux Strauss (Metamorphosen, Vier letzte Lieder, etc.). On est cependant gêné par quelques approximations de la part du premier violon, surtout dans les chromatismes.
Le programme enchaîne le fameux Souvenir de Florence Op.70 de Tchaïkovski. Si l'Allegro con spirito révèle un manque certain de couleur et peut-être aussi d'engagement, l'articulation reste élégante et s’avère en cela plus classiqueque romantique. La régularité immuable de cette lecture rend le mouvement presque inerte. La curieuse discrétion dans laquelle le lyrisme intrinsèque de l'œuvre ne trouve que peu de relief bénéficie, cela dit, d'une demi-teinte joliment travaillée. Dans l'Adagio, la précarité surprenante de son choisie par la violoncellisteTatiana Vassilieva suggère une attachante fragilité, d'autant plus porteuse d'émotions. Peu à peu, la musicienne s'engagea plus pleinement dans la vibration et, lors de la reprise du thème (après le passage véhément), elle sonne de toute sa générosité. Mais c'est incontestablement à partir du troisième mouvement que la Camerata commence à prendre quelques risques, dans une approche plus musclée de la partition, jusqu'à s'épanouir dans une expressivité farouche. Le tempo est également moins droit et l'ensemble s'anime d'une certaine vitalité qui s'appuie sur des nuances contrastées. Sans perdre ce bel instant d'inspiration, les artistes soulignent l'Allegro vivace final par l'effervescence presque fébrile des échanges, virevoltant en d'insaisissables traits fugués qui rappellent le musicien d'opéras plus que celui de ballets, à l’encontre des deux premiers mouvements. La lecture transmue sa relative inertie initiale vers un élan plus franchement romantique.
La Philharmonische Camerata Berlin consacre la seconde partie de la soirée au sextuor Verklärte Nacht Op.4 qui occuperait une place importante dans la carrière comme dans la vie d'Arnold Schönberg. Le miracle a lieu ! Imposant un climat ténébreux dès les premières notes de violoncelle, cette interprétation accentue le côté sombre de l'œuvre, sans pour autant distordre l'équilibre au-delà d’une certaine dignité. Ne s'égarant jamais vers un expressionnisme appuyé en usant de couleurs trop acides, les musiciens offrent au contraire une sonorité soigneusement travaillée, en cela héritière d’un romantisme tardif. La dynamique demeure, là encore, assez droite, mais s'inscrit judicieusement dans la retenue, marquée d'un grand suspens sans user d'effets dramatiques. De cette version l’on pourra dire qu’elle plie idéalement l'œuvre dans le contexte de sa création : douloureuse sans « pleurnicherie » – moderne malgré elle, dirait notre Marcel alité. Après des moments d'une troublante nudité, un enthousiasme mystérieux et secret élève la fin, éclairé de clairs-obscurs symbolistes à la moire impalpable, comme rêvée.
BB