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Chroniques
Philippe Herreweghe romantique
Anton Bruckner et Gustav Mahler
Philippe Herreweghe est devenu une véritable institution en Belgique. Aussi propose-t-il annuellement son propre cycle d’abonnement dans le cadre de la prestigieuse saison de la Société Philharmonique de Bruxelles. Si ses apparitions dans la musique baroque remplissent aisément la salle Henry Le Bœuf, ses incursions dans le domaine romantique, avec l’Orchestre des Champs-Élysées, ne drainent pas les foules. Les amateurs de baroque n’aiment pas sortir de leur répertoire et les passionnés de musique symphonique regardent avec circonspection ce genre d’expérience.
Pour ce premier concert bruxellois de la saison, Herreweghe, qui n’a pas froid aux yeux, propose une lecture sur instruments d’époque d’une sélection de Lieder du Knaben Wunderhorn de Gustav Mahler. Force est de constater que si l’artiste excelle dans certaines pages, il n’a guère à dire dans cette œuvre qu’il exécute à vue, passant complètement à côté de ses aspects narratif et ironique. L’autre problème réside dans les timbres et la technique de l’orchestre. En effet, les grandes formations mahlériennes (Concertgebouworkest Amsterdam, Philharmonie Tchèque, New York Philharmonic) possèdent « dans le sang » ce répertoire qu’ils pratiquent depuis des décennies. Les timbres, le son, l’articulation des cordes sont des automatismes dont ne peuvent se targuer nos valeureux musiciens. On a l’impression de se retrouver à la fin des années quarante où des phalanges poussives et peu précises déchiffraient piteusement leur Mahler (il n’y a qu’a écouter les enregistrements Vox d’Otto Klemperer, avec le Symphonique de Vienne, pour se rendre compte des difficultés que posait alors cette production).
Le Knaben Wunderhorn repose aussi sur deux chanteurs.
Si, à défaut d’être impérissable, la prestation du soprano Sarah Connolly est musicale et vaillante, celle du baryton Dietrich Henschel s’avère particulièrement navrante. Il est triste d’avoir à constater que ce chanteur, qui possède assurément un beau timbre, se détraque autant la voix. À force d’en surjouer les phrases, le chant mahlérien devient une sorte de Sprechgesang expressionnisme complètement hors sujet. Le baryton pousse la voix à tort et à travers, jusqu’à se faire incompréhensible dès les premiers rangs d’orchestre.
La seconde partie de ce long concert est dédiée à la Quatrième Symphonie d’Anton Bruckner. Herreweghe approche studieusement ce compositeur depuis quelques années, mais pour l’instant la vérité du maître de Saint-Florian lui restait assez étrangère. Avec la Romantique, le natif de Gand est plus à son affaire et, en dépit, d’un premier mouvement trop placide, l’exécution ne manque pas d’allure. Dans des tempi vifs, comme au temps des pionniers brucknériens, le musicien campe un Bruckner direct et sans arrières pensées métaphysiques. L’ensemble culmine dans un Scherzo et un Finale exceptionnels de densité et de musicalité. Les différents pupitres de l’Orchestre des Champs-Élysées se montrent sous leur meilleur jour et certains solistes, comme le corniste Luc Berge, sont chaleureusement salués par le public.
PJT