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Chroniques
Philippe Manoury | Sonus ex machina
solistes de l’Ensemble Intercontemporain, technique Ircam
Comme un écho au concert donné à la Maison de la radio et de la musique pour le soixante-dixième anniversaire de Philippe Manoury, le triptyque Sonus ex machina – le troisième volet, Neptune, avait été donné au Studio 104 ce dimanche [lire notre chronique du 19 juin 2022] – est donné en intégralité lors de ce concert, dans le cadre de l’édition 2022 du festival ManiFeste, par les solistes de l’Ensemble Intercontemporain. Il représente un moment de l’histoire de l’Ircam et de l’électronique en temps réel, dans une application à chaque fois élargie à des paramètres nouveaux au fil des trois pièces du cycle.
Créé en 1987, Jupiter pour flûte solo et électronique s’appuie sur les ressources de cette dernière pour démultiplier les ondulations du discours à partir de l’impulsion instrumentale. Plus que la question de la qualité du grain du son synthétique, rudimentaire, voire daté, c’est la dynamique de l’interprétation qui constitue l’apport essentiel et la matrice d’une partition évolutive, entre la première par Pierre-André Valade, une version condensée avec vidéo, et une mouture définitive dix ans plus tard avec l’adaptation du programme de transformation musicale. La lecture qu’en livre Sophie Cherrier se révèle attentive aux potentialités spéculaires de son double.
Pendant la mise en place du piano pour Pluton, le compositeur et Miller Puckette, qui contribua dans les années quatre-vingt, à l’Ircam, à la conception informatique nécessaire à l’écriture de pièces mixtes en temps réel, reviennent sur les débuts de cette aventure dont Pluton constitue un aboutissement supplémentaire. Donnée pour la première fois au Festival d’Avignon en 1988, la page fut élargie, avec une ultime section à variations qui développe et récapitule toutes les potentialités de son matériel thématique et électroacoustique – entre notes répétées et plages plus contemplatives. Dépassant la simple duplication de la génération sonore de Jupiter, l’électronique retravaille également la texture et la couleur de la matière pianistique, dans un spectre allant de l’abstraction métallique confinant au pointillisme du signal clavecinique à l’amplification de la résonnance jusqu’à un mouvant halo qui, dans une scénographie ayant fait disparaître l’instrumentiste, façonne un fascinant épilogue pour haut-parleurs seuls – extase maîtrisée qui contraste avec l’emballement, imprévu, de la toccata un peu plus tôt dans la pièce, lequel n’entame cependant guère l’interprétation précise et investie de Dimitri Vassilakis.
Avec Neptune pour trois percussions, créé en 1991 au Centre Pompidou, cette approche vivante de l’apport informatique, interagissant avec le jeu des solistes, met en valeur le rituel onirique calibré par les deux vibraphones et le marimba, complétés au début et à la fin par des fragrances de tam-tam. En cinq moments, l’œuvre équilibre la virtuosité formelle et la sensualité immersive des impressions où le trio, formé par Gilles Durot, Samuel Favre et Aurélien Gignoux, est relayé, comme pour les deux autres volets du triptyque, par la régie de l’Ircam – Étienne Démoulin et Serge Lemouton, avec Luca Bagnoli à la diffusion sonore. Ainsi ce Sonus ex machina offre-t-il un voyage nourri par l’émulation entre technique et inspiration poétique : un précipité d’une des raisons d’être de l’Ircam.
GC