Chroniques

par françois cavaillès

Phryné, opéra-comique de Camille Saint-Saëns (version de concert)
Anne-Catherine Gillet, Cyrille Dubois, Thomas Dolié, etc.

Orchestre national d’Île-de-France, Hervé Niquet
Festival Palazzetto Bru Zane / Opéra Comique, Paris
- 11 juin 2022
Phryné, opéra-comique de Camille Saint-Saëns en version de concert
© stefan brion

Le franc succès de Phryné dès sa création au printemps 1893 se réitère à l’Opéra Comique, dans une ardente version de concert, frustrante en tant que telle. Gorgée de vivacité théâtrale et de parodie des vieux lieux communs dramatiques, la musique en est presque amusante, signée du vénérable Camille Saint-Saëns, mais aussi du brillant André Messager en ce qui concerne les récitatifs composés en 1896. En arborant les couleurs chatoyantes et la brusquerie efficace de la farce, sous un petit soleil de Grèce antique, voici la renaissance en beauté, salle Favart, d’un opéra-comique tendant parfois vers l’opéra-bouffe, voire l’opérette, dans une production fraîchement enregistrée à Rouen, à l’initiative du Palazzetto Bru Zane qui la programme ici dans son festival annuel.

Au jeu de la folle poursuite lancée, pour deux brefs actes, par un Orchestre national d’Île-de-France en fête sous la gourmande baguette d’Hervé Niquet, il revient au baryton Thomas Dolié de se donner à fond en Dicéphile, vieillard amoureux de l’hétaïre, en pure perte. La malignité du personnage principal, si savoureux, n’a d’égal que le charme vocal de l’excellent acteur, à l’aise dans l’outrance bouffe, presque furibarde, dans l’air retors à son neveu, Enfant, je te donne l’exemple, comme dans les ensembles, même courts, souvent pleins d’esprit. L’énergie abonde chez le ténor Camille Tresmontant, Cynalopex toujours alerte et clair, et chez le baryton Matthieu Lécroart, solide Héraut ou pleutre Agoragine, au chant très juste, fidèle au rôle, alors qu’en Lampito, suivante de Phryné, le soprano Anaïs Constans apporte à la vigueur de l’action un chant très plaisant. Le Chœur du Concert Spirituel rivalise de séduction par son lyrisme suave nourrissant les moments les plus hallucinés du petit drame, pâmoisons incluses, et par son opportune fraîcheur, presque pompière dans les couplets en fin du premier acte.

Le grand amour trouve heureusement place grâce à un jeune couple rompu aux subtilités de l’école française de chant. Bien qu’annoncé diminué, le ténor Cyrille Dubois maîtrise les accents de ferveur de Nicias, jeune neveu de l’archonte Dicéphile, la qualité du timbre et la netteté de la diction, tandis que le soprano Anne-Catherine Gillet donne à sa sculpturale et fascinante Phryné de justes ornements ainsi que l’ampleur émouvante, faisant vivre cette figure moins historique qu’artificielle à travers les tours rapides d’une intrigue alambiquée. De prime abord, le livret de Lucien Augé de Lassus semble ardu mais s’avère, à bien le suivre, remarquable. Le manque d’une mise en scène est cruellement ressenti qui aurait rendu concrets les quelques passe-passe, mouvements de foule, astuces, gestes décisifs et autres rencontres inopinées.

Toujours est-il que la Phryné – antique hétaïre fameuse pour son simple effeuillage devant ses accusateurs l’innocentant aussitôt – de Saint-Saëns est parée de tous ses atours, comme l’orchestre mousse quand Dicéphile crâne, ironise en lançant l’abordage des poltrons, bouillonne quand Nicias les rosse !... Il y a tantôt de fines allusions (en recourant furtivement au mode dorien), tantôt le brio lyrique soigné du compositeur à dépeindre l’argument, avec parfois la touche d’opérette chère à Messager, sensible dans les couplets au finale de l’Acte I. Nourrissante, délassante, doucement passionnée, c’est bien une créature de rêve que montre le II, partition reconnue plus tard parfaite de fond et de forme par l’auteur. Dans la puissante invocation d’Aphrodite transparaît de manière ravissante le credo de Saint-Saëns : harpes et bassons bercent le rêve d’une beauté combative. Enfin, la danseuse électrise la scène via les motifs sophistiqués de la fosse, avant le dernier grand duo. À découvrir à la scène un beau jour prochain, souhaitons-le.

FC