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Piano Phase – Eight lines – Four Organs – Drumming part I
choréghaphies d’Anne Teresa De Keersmaeker
L'intérêt d'Anne Teresa De Keersmaeker (née en 1960) pour la musique de Steve Reich ne date pas d'hier : au début des années 80, après un début de formation à Bruxelles (école Mudra, fondée par Maurice Béjart), elle part deux ans aux États-Unis où elle découvre la danse post-moderne américaine ainsi que la musique de phase du compositeur. En 1982, Fase s'inspire directement de cette recherche musicale sur la répétition et le décalage rythmique, suscitant un enthousiasme jamais démenti pour le travail de la chorégraphe, semble-t-il, puisque ce soir encore le public fait la chasse aux billets – notamment pour découvrir deux créations sur Eight Lines (1979) et Four Organs (1970).
Pendulum Music, installation de 1968, ouvre le spectacle. Un mouvement pendulaire est imprimé à deux microphones suspendus au-dessus de deux haut-parleurs, livrant un contrepoint d'effets de larsen. Les sons d'abord espacés deviennent omniprésents, à mesure que le micro ralentit et tend à l'immobilité. Cette entrée en matière prépare le spectateur au foisonnant Marimba Phase (1980), morceau non dansée où l'on apprécie le tonus et la maîtrise des deux percussionnistes impliqués. On sait l'attachement de De Keersmaeker à la musique jouée en direct, et la présence de l'ensemble Ictus sur le plateau contribue largement au déploiement de vibrations.
Pièce pour deux pianos, Piano Phase (1967) entraîne alors deux danseuses en robe légère, quasi jumelles, dans une rotation perpétuelle du corps, le bras droit animé d'un mouvement pendulaire. Comme l'exprime Jean-Luc Plouvier au clavier, « Anne Teresa n'a aucun goût pour les œuvres ouvertes où l'artiste se contente de disposer des chances, et s'en remet au public pour en apprécier la pertinence ». Découverte il y a vingt-cinq ans maintenant, cette expérience d'un temps cyclique posait les bases d'un credo chorégraphique : développer une danse sur des bases géométriques strictes, dictées par la structure même de l'écriture sonore – « des musiques à l'opposée d'une expression naturelle », confirme l'intéressée, sensible à la notion de nombre d'or.
Pour Eight Lines, huit danseuses entrent et sortent d'un cercle lumineux découpé au sol, qui s'estompe à l'allumage d'autres projecteurs puis réapparaît. Énergie (bonds sur place, courses en diagonale) et sensualité (déhanchements, complicité souriante) donnent un côté païen à l'exécution, accompagnée par une flûte des plus dionysiaques (en bande son, malheureusement). Comme précédemment, Four Organs s'ouvre et se clôt sur le silence. Cette fois, accompagnés par des maracas et quatre orgues Hammond, ce sont cinq danseurs qui pénètrent sur scène. Dans une sorte de cohabitation indifférente – avant quelques chocs, frôlements ou agglomérats au final –, les protagonistes paraissent à la recherche de l'équilibre (pied levé, bras en croix, immobilité, etc.) plus que de l'élan.
Enfin, Drumming part I regroupe quatre percussionnistes et douze danseurs autour d'une bande de lumière. Antérieure aux deux créations (1997), cette chorégraphie offre un résumé généreux de l'art déployé ce soir – entrées successives, symétrie, tension, relâchement, blocage, retenue, etc. Dommage que la pièce qui l'introduisait – un rare et précieux Poème symphonique pour cent métronomes de György Ligeti, joués par quatre rangées d'instruments posés à l'avant-scène – ait provoqué les rires moqueurs ou gênés de spectateurs venus pour voir plus que pour écouter.
LB