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Chroniques
Pierre Bleuse dirige ULYSSES et l’Ensemble intercontemporain
œuvres de Jarrell, Ligeti, Reyes Macahis et Steen-Andersen
Tout a une fin, même l’édition 2024 de ManiFeste, le festival annuel de création de l’Ircam [lire nos chroniques des 7, 12, 13 et 19 juin 2024]. Ce concert de clôture réunit les musiciens de l’Ensemble intercontemporain (EIC) et ceux de l’Ensemble ULYSSES. Si l’on connaît le premier, le second nous est moins familier. Onze institutions européennes se rejoignent dans le réseau ULYSSES autour de la promotion et de la professionnalisation des jeunes compositeurs et interprètes. L’ensemble instrumental à porter son nom se voit ainsi constitué chaque année de nouveaux membres. Ce printemps, ceux-ci furent encadrés par les solistes de l’EIC aux côtés desquels ils s’expriment ce soir, en la grande salle du Centre Pompidou.
Quatre œuvres au programme, sans création aucune, ce qui s’avère sans doute plus propice à un encadrement pédagogique serein. Ainsi retrouvons-nous des pages déjà fréquentées. Le compositeur danois Simon Steen-Andersen (né en 1976) écrivit en 2007 Chambered Music pour douze instruments et sampler (flûte, clarinette, cor, trompette piccolo, trombone, clavier électronique/MIDI/synthétiseur, deux percussions, deux violons, alto, violoncelle et contrebasse). La pièce fut créée la même année. À l’issue d’une exécution d’une dizaine de minutes exploitant jusqu’à plus soif les possibilités d’un geste répétitif à la pauvreté proprement sidérale, on est heureux d’assister au très long changement de plateau que nécessite l’installation en vue du deuxième opus au menu.
Il s’agit de Diwata, conçu pour ensemble (flûte avec piccolo, hautbois, deux clarinettes avec basse, basson, cor, trompette, trombone, piano, percussion, deux violons, alto violoncelle et contrebasse) et électronique en 2020 par la compositrice philippine Feliz Anne Reyes Macahis (née en 1987). Commandée par l’Ircam et Fondation Royaumont, cette page fut créée dans le cadre de l’édition 2021 de ManiFeste, par l’EIC. Elle est dédiée à l’ethnologue et linguiste Nicole Revel qui, de longues décennies durant, a pris pour terrain de recherche les montagnes de l’archipel philippin. « Une part non négligeable de mon travail est dédiée à la transcription et la traduction, en tant qu’outils de base pour exploiter les caractéristiques de mes sources primaires, en l’occurrence les archives audios que j’utilise dans le cadre de mes recherches artistiques », précise Reyes Macahis (brochure de salle). « Cette pièce d’ensemble tente ainsi d’explorer la notion de matérialité de la voix, ainsi que celle de la documentation proprement dite : une archive audio de Fabio Dalasay chantant un épisode de l’épopée Agyu d’Agusan Manobo […]. [Elle] élargit le rôle de la voix des instrumentistes dans le cadre de mon écriture d’ensemble ». Une féconde inventivité anime une œuvre pour laquelle l’auteure n’a pas hésité à convoquer des bigarrures parfois surprenantes. Différentes sections s’y succèdent sans interruption, superposant leurs frontières jusqu’à les fondre. La voix est celle des instruments, selon une écriture que l’on entend vocale, mais aussi celle des instrumentistes, avant même d’être celle enregistrée, diffusée comme de très loin, dont la présence s’affirme progressivement. Un indéniable souffle se fait l’autorité organisatrice d’une formidable disparité de moyens dont Pierre Bleuse use avec cette maestria qu’on lui connaît.
En 1991, György Ligeti composait, à partir de trois airs extraits de son opéra Le grand macabre [lire nos chroniques du 2 mars 2014, des 18 et 19 novembre puis 2 décembre 2023], Mysteries of the Macabre pour soprano coloratura et orchestre de chambre, créé lors de l’édition 1994 de Présences, le festival de création de Radio France. Le trompettiste, chef d’orchestre et compositeur britannique Elgar Howarth, qui avait dirigé la première de l’opéra à Stockholm en 1978, est aussi l’auteur d’un arrangement des Mysteries pour trompette et ensemble, qui vit le jour à Aarhus en 1992 sous sa direction, avec le Suédois Håkan Hardenberger en soliste. À sa brillante exécution succède celle de l’explosive Chambre aux échos de Michael Jarrell, dédié à Pierre Boulez pour son quatre-vingt-cinquième anniversaire, en 2010. Ainsi s’achève ManiFeste, la diffusion sonore de ce concert étant confiée à Clément Cerles et sa partie électronique à Pierre Carré.
BB