Chroniques

par laurent bergnach

Pierre Boulez et le XXIe siècle
Bertrand, Hurel, Manoury et Maresz

Festival d’Aix-en-Provence / Cité du Livre
- 8 juillet 2006
le compositeur Philippe Hurel photographié par Nicolas Botti
© nicolas botti

C’est un programme des plus originaux que Pierre Boulez a choisi de défendre ce soir à la tête de l’Ensemble Intercontemporain, puisqu’il n’inclut ni maîtres d’avant-guerre, ni création, ni même ses propres productions (c’est pour jeudi prochain), mais des pièces dont le point commun est d’avoir moins de dix ans d’existence. Peu de chefs de sa génération auraient pris sinon ce risque du moins une telle initiative – à vrai dire, peu de chefs en général.

Yet, la première de ces pages, est une commande de l’EIC, dédiée à Pascal Dusapin et créée le 29 septembre 2002 sous la direction de Jonathan Nott. Né en 1981, son auteur Christophe Bertrand souhaitait mettre l’accent sur le concept d’anticipation. « La première section concentre les éléments structurels qui seront développés plus tard. Tout est esquissé, rien n’est dit. Aussi opposés qu’ils puissent être, ces éléments sont unifiés par des champs harmoniques qui circulent tout au long de la pièce, par une énergie dramatiquecroissante ainsi que par l’utilisation de l’espace scénique. » Les sous-sections, aussi courtes que nombreuses, font la part belle à la percussion (seule ou en duo avec le piano, les cordes, etc.) et aux passages ludiques comme ces « klaxons » de trompettes, ces coassements de clarinettes.

Au Bath Festival, le 5 juin 1999, le clarinettiste Timothy Lines et le London Sinfonietta dirigé par Pierre-André Valade assuraient la création d’Eclipse, l’œuvre la plus ancienne de la soirée. Lauréat de nombreux concours internationaux, c’est au tour du jeune Jérôme Comte d’en assurer la partie soliste. Sur fond de cordes délicates et tendres, la clarinette gagne en nervosité. Yan Maresz (né en 1966) l’a voulue « omniprésente, touffue, trop bavarde ». Proche de l’improvisation, elle contamine régulièrement l’ensemble des quatorze instruments dont les cuivres et les percussions frôlent le chaos avant de revenir à une ambiance initiale plus nocturne.

Commande de Barbara et Luigi Polla à Philippe Hurel [photo], Figures libres fut créé en mars 2001 à Berlin par l’Ensemble Recherche de Freiburg. Le compositeur (né en 1955) analyse ce qui lui semble sa pièce la plus thématique : « un motif caractérisé par son enveloppe, sorte de figure imposée, est repris dans les trois mouvements de l’œuvre et subit de nombreuses variations. Dès que la prévisibilité du discours est trop grande, ces figures libres viennent la détruire, créant des articulations moins prévisibles ». La partition n’est pas immédiatement séduisante : tendue, nerveuse, tourmentée jusqu’en son mouvement central (pourtant le plus calme), elle laisse l’impression d’être bruiteuse et répétitive. Comme le solo de contrebasse surprenait au terme de Yet, l’effet « pneu crevé » du final étonne par son incongruité.

D’une pièce pour hautbois datant de quelques années, Marc-André Dalbavie (né en 1961) a tiré La marche des transitoires qui vit le jour à New York le 10 mai 2005, pourvu d’une dédicace à Pierre Boulez. « Au début, l’ensemble est comme une ombre du hautbois, créant des résonances multiples. Puis il s’émancipe pour produire une sorte de polyphonieavec la ligne du hautbois, soit en l’accompagnant, soit de façon autonome. C’est par une technique de composition (transcription, expansion) chère au dédicataire que j’ai voulu lui rendre hommage. » Pour accompagner le jeu de Didier Pateau, signalons le rôle des cordes (deux violons, alto, violoncelle, mais aussi une harpe et les cordes du piano joués avec les doigts) qui installent un indéniable climat.

Pour terminer, l’Intercontemporain retrouve Identités remarquables qu’il créa le 30 avril 2005 à la Cité de la musique (Paris). Composée par Philippe Manoury à San Diego entre la fin de 2004 et le début de l’année suivante, cette page nécessite des interprètes organisés symétriquement en groupes décroissants, soit deux quintettes à vent, deux quatuors à cordes, un trio de percussions et un duo harpe-piano. Non dénué de savoir faire, ce morceau – dont le titre évoque les mathématiques, celui des différents mouvements le monde de la musique (Schönberg, Berg, Monk) et de la peinture (Klee, Pollock) – déçoit par son manque de profondeur.

LB