Chroniques

par marc develey

Pierre Cao joue la Messe en si mineur BWV 232 de Bach
Akademie für Alte Musik Berlin et Chœur Arsys Bourgogne

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 20 octobre 2012
Pierre Cao dirige la Messe en si de Bach au Théâtre des Champs-Élysées (Paris)
© dr

Sous la baguette de Pierre Cao, le Kyrie de cette Messe en si mineur BWV 232 s'ouvre dans un amble délicat dont les cordes tirent un velouté tendrement dolent que n'intègrent pourtant pas totalement les mélismes des bois. La pâte très homogène de l'Akademie für Alte Musik Berlin et la réserve du Chœur Arsys Bourgogne favorisent une écoute synthétique plus que de détail. Le climat est profane plus que religieux – celui d'une messe latine un peu sage qui ne promettrait ni les extases négatives de la Crucifixion, ni les élancements oblatifs de la Résurrection. L'acoustique assez mate de la salle prive peut-être d'une partie de leur ampleur ces pièces conçues pour des espaces autrement résonnants.

Les plans sonores se confondent cependant parfois, embrumant la joie toute légère du Gloria, pour autant agréablement portée par les détachés sur le o du texte, et brouillant la fugue de l'Et exspecto resurrectionem. L'équilibre du chœur et de l'orchestre ne permet sans doute pas plus, le traitement parfois quasi-instrumental du premier altérant l'intention textuelle et contribuant à la fusion de son plan propre au plan orchestral, par des attaques tirées et une dynamique somme toute contenue – y échappent pourtant, vigoureux, les grands tutti Cum sancto spiritu et Dona nobis pacem.

Un parti pris italianisant nous vaut un Credo (porté par les cordes) qui rappelle plus Palestrina que Bach ; et là un inédit Laudamus te, duo où le soprano sobre et peu projeté de Katharine Fuge semble parfois chercher un terrain d'entente avec le solo tout de préciosité vivaldienne du premier violon. Le maniérisme très musical du Crucifixus empêche d'atteindre l'émotion – peut-être faut-il y voir la marque de cette retenue évoquée plus haut ou de l'aridité un peu monotone d'un continuo pris dans les répétitions ternaires de l'ostinato.

Le plateau vocal est inégalement réparti.
De Katharine Fuge nous avons dit la modération et l'égalité de l'émission, détonnant dans le duo du Christe eleison où elle tient la partie d'alto en face d'une Joanne Lunn plus contrastée dont les aigus désagréablement sur-timbrés succèdent à un quasi-effacement en fin de certains eleison – une voix qui trouvera mieux sa place dans le Domine Deus et l’Et in unum Dominum, en duo respectivement avec Thomas Hobbs puis Matthias Rexroth. Les aigus de ce dernier peinent souvent à trouver l'accord. Il déploie pourtant dans l'Agnus Dei un registre médium splendide de pianissimi, sans néanmoins pouvoir soutenir tous ses registres d'une même tendresse. Le timbre clair et la diction parfaite de Thomas Hobbs offrent, quant à eux, de beaux moments, notamment une atmosphère de grâce tendue dans le Benedictus, et ce malgré l'affectation de la flûte. Quoique parfois un peu en-deçà de l'acoustique dans le registre bas (Quoniam), la chaleur du baryton élégamment projeté de Peter Harvey nous vaut enfin un Et in spiritum sanctum très habité.

Inégale, cette Messe n'est pour autant pas sans armature ni musicalité, en goûterions-nous peu l'esthétique, maniériste dans la forme et, à notre ressenti, profane dans l'intention. C'est que l'unité d'une interprétation laisse une saveur appréciable, quelle que puisse être encore la profondeur de l’acquiescement de certaines des propositions ici soutenues. Nous restons reconnaissant à Pierre Cao de s'être tenu au pupitre alors même qu'il était souffrant – il n'a d'ailleurs pu répondre aux nombreux rappels du public. Il est inévitable que cela ait influencé la soirée (notre sentiment d’ensemble doit aussi se lire à cette lumière-là).

MD