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Chroniques
Pierrot lunaire d’Albert Giraud
Kowalski, Marx, Schönberg et Vrieslander
En collaboration avec le Centre culturel autrichien, le Centre Wallonie-Bruxelles de Paris organise une soirée autour de Pierrot lunaire, figure à laquelle le symboliste belge d'expression française Émile Kayenberg, dit Albert Giraud (1860-1929), a consacré plus d'un poème. Ce natif de Louvain, tourné vers le journalisme après la tentation de s'inscrire au conservatoire et des études universitaires interrompues pour cause de difficultés financières, défend très jeune la cause de l’art pour l'art, allant pour elle jusqu'à se battre en duel. L'échec d'un premier recueil de contes le tourne vers la poésie. En 1884 paraît Pierrot lunaire qui marque le départ de sa carrière littéraire, signant son rejet de l'art social ou religieux. Avec ses personnages et son ambiance de Commedia dell’arte, on est proche des Fêtes galantes (1869) de Verlaine, lui-même inspiré par les œuvres de Watteau et d'autres peintres du XVIIIe siècle. Pierrot Narcisse suivra bientôt (1887), empreint d'ironie douloureuse, puis Héros et pierrots (1898) confirme l'influence parnassienne sur l'écrivain (un même éditeur les lie).
Découverts par les compositeurs allemands et autrichiens grâce à la traduction d'Otto Erich Hartleben (1864-1905), les poèmes de jeunesse deviennent le ferment d'une des œuvres d'Arnold Schönberg [photo] les plus célèbres – en fin de soirée, on retrouvera d'ailleurs Marianne Pousseur, Philippe Herreweghe et l'ensemble Musique Oblique dans un film d'Isabelle Pousseur illustrant la partition (RTBF, 1985). Destinée à la diseuse de cabaret Albertine Zehme (1857‐1946), ses trois parties (vingt-et-un textes) présente un Pierrot en proie au fantasme amoureux, puis au blasphème dans un monde cauchemardesque, enfin à la nostalgie d'un passé fabuleux. Le programme du jour ne reprend ni l'intégralité ni l'instrumentarium du cycle créé à Berlin le 16 octobre 1912.
Moins célèbres, d'autres compositeurs se sont intéressés au Pierrot de Giraud, semi-pantin qui symbolise l'homme doutant de lui-même. Dès 1905, le Munichois Otto Vrieslander (1880-1950), élève du théoricien Heinrich Schenker (1868-1935), met déjà en musique Der Dandy et Colombine, de même que Max Kowalski, en 1913. Compositeur allemand d'origine polonaise, sensible à l'aspect ironique du texte, ce dernier offre à l'un de ses morceaux un air de boîte à musique, à l'autre une ambiance orientale [lire notre chronique du 21 septembre 2006].
Enfin, se situant dans le sillage de Schumann, Brahms et Reger,le musicien autrichien Joseph Marx (1882-1964) s'intéresse au mythe en 1909. L’approche qu’il en a se révèle nettement plus conservatrice ! Par l’ampleur vocale et un visage gourmand, le soprano Elisabeth Linhart compense quelques notes détimbrées et une couleur assez terne. Heureusement, une certaine brillance est apportée à l'ensemble par le pianiste Volker Nemmer, nuancé et attentif.
LB