Chroniques

par gilles cantagrel

Pimpinone, opéra de Georg Philipp Telemann
La serva padrona | La servante maîtresse, opéra de Giovanni Battista Pergolesi

Théâtre de Divonne-les-Bains
- 14 janvier 2011
© marc vanappelghem

L’opéra, spectacle élitiste pour initiés ? Voire ! Et s’il suffisait d’aller au devant des spectateurs en leur apportant l’opéra chez eux ? C’était le projet de Ramuz et Stravinsky avec Histoire du Soldat, et c’est l’idée que vient de développer brillamment l’Opéra de Lausanne avec La route lyrique. Le principe est très simple. Un dispositif scénique réduit à l’essentiel, ne nécessitant ni machinerie ni cadre de scène contraignant, donc transportable et parfaitement adaptable à une grande variété de lieux. Pas d’accessoire inutile, une table, un fauteuil – ce qu’il faut, rien d’autre. Seul équipement technique, le système de surtitrage, indispensable. Quelques chanteurs, un ensemble instrumental modique et, en tout, cela beaucoup de talent. La formule, certes, ne conviendrait pas à Aïda, à Hérodiade ou aux Maîtres Chanteurs de Nuremberg. Mais le répertoire ne manque pas d’ouvrages se prêtant à l’aventure.

La preuve en a été apportée, et avec éclat, au cours de la série de représentations itinérantes, en juillet et août 2010, et en janvier 2011, qui vient de s’achever à Sion. Symboliquement, l’inauguration de La route lyrique a eu lieu au célèbre Théâtre du Jorat à Mézières, dans le canton de Vaud, la « grange sublime » qui accueillit jadis la création du Roi David d’Honegger. Vingt-deux représentations dans les lieux les plus divers, théâtres, mais aussi esplanades de château, salles polyvalentes, cours de collège, parfois dans de modestes localités. Dans la tournée, trois escapades en France, à Vichy, Annecy et Divonne.

Excellente idée, aussi, de présenter dans une même soirée deux intermèdes bouffes sur le même thème, celui de la ruse de femmes qui se font épouser par le vieux bourgeois qu’elles servent avant de se rendre maîtresses des lieux (et des maris). D’une part le Pimpinone de Telemann, dont les trois actes ont été initialement conçus pour servir d’intermèdes pendant les entractes des représentations du Tamerlano de Händel à Hambourg en 1725, dans le savoureux mélange d’italien et d’allemand cher à son auteur. Et en seconde partie, la Serva padrona de Pergolesi, crée à Naples en 1733 et qui fit rapidement le tour du monde.

Mais si le thème est semblable, la conclusion de la fable diffère, et c’est ce qu’a fort intelligemment souligné dans sa mise en scène Éric Vigié, auteur également du décor et des costumes. Chez Telemann, Vespetta – en italien, la piquante petite guêpe si bien nommée – parvient à se faire épouser, mais pour n’en faire ensuite qu’à sa tête, bien résolue à jeter le contrat aux orties. Le riche et naïf barbon se fait outrageusement berner, et la vive algarade de la dernière scène ne manque pas de cruauté. Avec Pergolesi, au contraire, le brave Uberto est, en fin de compte, réellement tombé amoureux de sa Serpina et, débonnaire, la laisse volontiers prendre les rênes du gouvernement de sa maison. Les aspects burlesques de la comédie sont ici relevés malicieusement de la présence charmante d’une danseuse et d’un facétieux petit Cupidon.

Aucun souci de reconstitution historique ne crée de distance avec la comédie, et l’on s’amuse franchement aux appels téléphoniques qui viennent interrompre les dialogues de Pimpinone et de Vespetta. Très efficace, la direction d’acteurs est vivante et subtile, jamais grossière. Benoît Capt (Pimpinone) et Eva Fiechter (Vespetta), et, dans la Serva Padrona, Alexandre Diakoff (Uberto) et Katia Velletaz (Serpina) s’en donnent à cœur joie dans un spectacle parfaitement rodé où ils paraissent trouver autant de plaisir que le public.

En ramenant ainsi le spectacle à l’essentiel, toute l’attention du public se concentre sur le jeu des comédiens-chanteurs, en parfaite symbiose avec une musique à la fois légère et savante, pétillante et imaginative, parfaitement exécutée par les cordes de l’Opéra de Lausanne sous la direction du talentueux Philippe Béran. Une mention particulière pour le continuo de Marie-Cécile Bertheau au clavecin.

Un spectacle intelligent, ravissant et plein de drôlerie, réalisé avec goût, sans qu’il ait été nécessaire de dépenser des fortunes, mais non plus sans paupérisme, et parfaitement professionnel. Les auditeurs ne s’y trompent pas, qui applaudissent à tout rompre. Ce public local, enfants compris, qui n’avait peut-être jamais assisté à une soirée de théâtre lyrique et qui en ressort ravi et conquis, c’est le public de demain, à l’Opéra. Bravo ! Il semble cependant que les responsables culturels ne s’en préoccupent guère, brillant par leur absence aux représentations.

GC