Chroniques

par laurent bergnach

Plamena Mangova, Dmitri Makhtin et Alexander Kniazev
trios avec piano de Chostakovitch, Rachmaninov et Schubert

Auditorium du Louvre, Paris
- 8 février 2017
Sergueï Rachmaninov par Plamena Mangova, Dmitri Makhtin et Alexander Kniazev
© dr

Avant que le Trio Dali occupe cette même scène le 10 mars prochain – avec Beethoven et Chausson –, une formation éphémère (non constituée) vient y faire entendre un instrumentarium identique, composée de Plamena Mangova (piano), Dmitri Makhtin (violon) et Alexander Kniazev (violoncelle). On connait bien l’art et l’éclectisme de la Bulgare, notamment dans Chostakovitch, encore au menu ce soir [lire notre chronique du 24 février 2016 et notre critique du CD]. Ses deux comparses ne sont pas moins talentueux, serviteurs indéfectibles de la musique russe [lire nos chroniques du 30 janvier 2013 et du 7 février 2010].

Mais c’est Schubert qui ouvre le programme, avec le Notturno en mi bémol majeur D.897, sans doute achevé à l’automne 1827 – un an avant sa disparition, à seulement trente et un an. Un piano très articulé annonce la tendresse des premiers moments d’un Adagio ne dépassant pas le quart d’heure. Très vite, des accents plus volontaires ébauchent une inquiétude évincée par une certaine pompe brillante et volubile. Le retour au thème initial sait surprendre (usage des pizz’), de même qu’un faux final fougueux ouvrant finalement sur une introspection douce-amère. D’emblée, nos trois interprètes captent l’attention.

À l’instar de l’Autrichien, Dmitri Chostakovitch (1906-1975) offre à la postérité deux trios avec pianos – mais préfère le quatuor, comme on sait [lire nos critiques des CD Debussy et Carducci]. Joué ce soir, l’opus 67 en mi mineur (1944) n’a plus l’insouciance de l’opus 8 (page d’un adolescent amoureux écrite en 1923), puisqu’il salue la mémoire d’Ivan Sollertinsky – un ami proche que le quotidien Pravda surnomma « troubadour du formalisme ».

Aux harmoniques du violoncelle de l’Andante se mêlent un violon plaintif, un piano implacablement las. Les cordes s’illuminent alors, pour un ostinato préludant à une fin de mouvement allègre, certes, mais surtout acidulée et tragique. Le bref Allegro con brio offre une virtuosité énergique et échevelée. La déploration caractérise un Largo aux cordes tristes et en accords pianistiques lugubres, avant que l’imprègne une lassitude émouvante. L’Allegretto conclut l’œuvre avec un Chostakovitch bien connu : exalté, moqueur, chahuteur et grinçant. Les musiciens subliment ce final frondeur qui crie de révolte.

Cinquante ans plus tôt, la mort brutale de Tchaïkovski bouleverse la jeunesse russe.
Lié à l’aîné par une réduction pour piano à quatre mains de La belle au bois dormant (1890), Sergueï Rachmaninov (1873-1943) [photo] écrit son Trio élégiaque en ré mineur Op.9 n°2 (1894), « à la mémoire d’un grand artiste ». Le Moderato propose des cordes d’abord dignes qui visent une osmose ample, lyrique et indignée, accompagnant la rumination au clavier. Moins recueilli, le mouvement médian convoque grâce et espièglerie, lesquelles font le lien avec le frémissement oriental inaugurant l’Allegro risoluto. Malheureusement, les dix dernières minutes retrouvent le mélodrame pesant du début…

LB