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Chroniques
Platée
comédie lyrique (ballet bouffon) de Jean-Philippe Rameau
Platée occupe dans l'œuvre de Rameau, et dans tout l'art lyrique du baroque français, une place particulière. Ballet bouffon, comme l'indique le compositeur en tête du prologue ? Sans doute, mais qui pratique une dérision corrosive sur l'être humain victime de ses illusions, et cela dans un langage parfois en rupture avec le style noble propre au genre. « Je veux finir par un coup de génie », chante la Folie. En la matière, on sera servi.
« À l'Opéra, l'important est le théâtre », affirme Marc Clémeur, directeur de l'Opéra national du Rhin, récemment en poste après avoir dirigé dix-huit ans durant l'Opéra des Flandres avec le succès que l'on sait. Et puisque Platée fut à la Cour, en 1745, un ouvrage parlant d'eux-mêmes aux spectateurs – et avec quelle hardiesse ! – sous couvert d'une fable mythologique que les protagonistes imaginent de créer sous nos yeux, il est parfaitement plausible de tenter une libre transposition pour en mieux mettre en valeur la portée. C'est le parti choisi par Mariame Clément qui a placé l'action chez des bourgeois américains des Trente Glorieuses. Ainsi, la Folie prend-elle les traits de Marilyn et Jupiter ne peut-il apparaître, gominé et cigare au bec, que dans une grosse voiture rouge toute en rondeurs et bardée de chromes. Malgré cette distanciation, et la présence insolite en pareille société de la nymphe-grenouille, le jeu théâtral, impeccablement réglé, fonctionne à merveille. Un astucieux dispositif scénique aux multiples éléments gigognes, les ballets évidemment plus proches du rock que de la gavotte, les changements d'échelle fort bien montrés entre le monde marécageux des batraciens et celui du salon des petits bourgeois – l'œil est constamment sollicité et les gags scéniques où rebondit l'imagination font fuser les rires du public qui manifeste sa joie par un tonnerre d'applaudissements.
Il n'empêche qu'à mesure que progresse l'œuvre, la surabondance de trouvailles et d'effets finit par donner le tournis et faire perdre le fil de la narration. Un Superman placide et un Albert Einstein ahuri viennent côtoyer Indiens et cow-boys descendus d'un mauvais western télévisé, tandis que la publicité vante des produits d'entretien. Certes, huit pages de commentaires s'emploient dans le programme à justifier ces options. Mais le sens même de la comédie satirique, menant peu à peu vers une fin grinçante et désabusée, un illusoire happy end et plus encore sa conclusion cruelle, s'en trouvent escamotés. Le couperet du brutal épilogue musical de la version d'origine – trois violents accords, sans les chœurs ajoutés ultérieurement par le compositeur – perd de sa signification.
Et la musique, dans tout cela ?
C'est le génial Rameau qui se trouve à présent en décalage par rapport à la pièce représentée. Mais que de fantaisie et d'imagination, toujours ! À la tête de ses Talens lyriques, Christophe Rousset, qui connaît son Rameau sur le bout des doigts [lire notre critique de son ouvrage consacré au compositeur], privilégie résolument le style, l'élégance et la noblesse. Sous sa direction, l'orchestre se montre parfait d'intonation et de cohésion d'ensemble, les multiples merveilles de la partition sont détaillées pour un bonheur de tous les instants (timbre du premier basson ou poésie des deux galoubets, pour ne citer qu'eux).
Ces mêmes qualités de style et d'intelligibilité se manifestent dans la distribution vocale, remarquable à de rares exceptions près. Elle est dominée par l'incarnation épatante de la nymphe Platée par Emiliano Gonzalez Toro, jeune ténor né à Genève de parents chiliens, qui triomphe de ce rôle particulièrement éprouvant, vocalement et scéniquement. Quant à Salomé Haller, elle domine la partition non moins virtuose de la Folie. Les Chœurs de l'Opéra national du Rhin se montrent parfaits.
GC