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Chroniques
Pollicino | Le petit Poucet
favola per musica d’Hans Werner Henze
Toujours au Théâtre du Châtelet, et après The Bassarids la semaine passée [lire notre chronique du 15 avril 2005], voici une nouvelle création française d'une œuvre lyrique d’Hans Werner Henze. Loin du livret plein de fureur et de sang tiré d'Euripide, voici celui qu’a extrait Giuseppe Di Leva des fables de Collodi, Grimm et Perrault, pour cette favola per musica (fable en musique) qui invite à se replonger dans l'histoire du Petit Poucet. Claire Gibault, à la direction, en a elle-même assuré la traduction française, pleine de saveur. Outre les instruments traditionnels de l'orchestre (très beau violon concertant de Éric Lacrouts), elle est entourée de cromornes, psaltérions, claviers de l'instrumentarium Orff et, surtout, de onze flûtes à bec qui évoquent immanquablement l'enfance. Anton Barsoff, jeune héros de ce soir à la voix cristalline, évolue avec ses camarades du chœur Sotto Voce dans un univers décoré par Yannis Kokkos, mis en scène par Guy Coutance. De leur collaboration retenons une scène en particulier : celle de la chambre des fillettes, esthétiquement et poétiquement fort réussie.
À l'origine de ce projet, il y a Montepulciano, village de Toscane au sommet d'une colline viticole. Au milieu des années soixante-dix, Henze (qui vit en Italie depuis 1953) rêve d'en faire « un centre international reconnu de pédagogie appliquée, un modèle d'éducation artistique moderne et démocratique, de théorie mise en pratique ». Très vite, il déchante : le manque de moyens, les résistances et protestations des bourgeois locaux l'empêchent de réaliser une cité utopique. Certains projets virent cependant le jour. Ainsi, Gaston Fournier-Facio (docteur en musicologie, dramaturge, machiniste, mime, etc.) fonda-t-il un groupe de très jeunes instrumentistes (enfants, pour la plupart) avec lequel travailler des pièces de chœur de plus en plus exigeantes. Le Concentus Politianus est né qui, aiguisant la curiosité des gens, prit de l'importance dans la vie musicale de la cité. Durant l'automne 1979, les enfants du groupe réclamèrent à Henze un opéra que soixante-dix d'entre eux créèrent le 2 août 1981.
Comme tous les contes, Pollicino est celui d'une initiation.
Bettelheim nous le rappelle : « si nous ne déployons pas nos ailes pour quitter le nid, nous ne rompons pas le lien œdipien qui, alors, nous détruit ». Ici, Poucet et ses six frères souffrent d'être, avant l'heure choisie par eux, abandonnés par leur père – le ténor Éric Huchet, voix claire et bonne projection –, puis trahis par leur mère – le soprano Aurélia Legay, aux aigus vaillants. Mais ils ne rentreront pas chez eux à la fin, les bras chargés d'or, comme dans l'histoire originale ! En effet, si la première partie du spectacle, sans surprise, suit la trame connue de tous, passé la Scène 8 la deuxième sortie en forêt mène vers d'autres sentiers…
Arrivent les animaux nocturnes : Madame Renard, Monsieur Hérisson, Madame Lapin… et Monsieur Loup – Frédéric Albou, baryton-basse efficace. Ce dernier les conduit vers une masure dont la découverte s'accompagne d'un crescendo de percussions plein de sauvagerie : c'est la maison de l'Ogre Terribile ! Plus attachante que leur vraie mère, l'Ogresse (le mezzo Doris Lamprecht) cherche à protéger les petits, tandis que le mari se débat avec les cris de son estomac, les soucis que lui causent le Syndicat des Ogres ou ses rêves de retraite. Sonore et truculent, la basse René Schirrer est effrayante et drôle à souhait. Ses bottes de sept lieues en dépôt chez le cordonnier, il ne pourra pas rattraper les garçons en fuite avec ses sept petites filles. La découverte de l'amour allant de paire avec la joie de l'indépendance, tout finit donc pour le mieux !
LB