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Chroniques
Porgy and Bess | Porgy et Bess
opéra de George Gershwin
Comme ces pages l’annonçaient à l’automne, à l’occasion d’une représentation du New York Harlem Theater en Avignon [lire notre chronique du 4 décembre 2007], le printemps lyrique français sera résolument Porgy and Bess. Quelques semaines avant la prochaine production de l’Opéra Comique, José Montalvo et Dominique Hervieu présentent leur version de l’ouvrage à l’Opéra national de Lyon. Pour les chorégraphes, c’est là le premier volet d’un ensemble consacré à Gershwin qui se poursuivra en septembre prochain par le spectacle inaugural de la Biennale de la Danse.
Après les moins convaincants Paladins de Rameau [lire notre chronique du 16 mai 2004], le tandem signe un spectacle bouleversant. Convoquant une nouvelle fois la vidéo, la superposition virtuose architecturée de plusieurs plans de jeu et de divers médiums, dont une chorégraphie par moments judicieusement hystérique, ce Porgy and Bess annonce d’emblée rien d’anodin. Inventive et sensible, la réalisation s’affirme dans une profondeur confondante, transcendant la dimension tragique d’un drame dont elle souligne la parenté non négligeable avec ces illustres ancêtres – en jetant les clés dans l’océan, par exemple (eau, mer(e) des destins). Elle use d’images percutantes, à la fois poétiques, auto-mémorielles et techniquement soignées, dont le recours récurant au ralenti décuple la portée tragique.
Chemin faisant, du bidonville étasunien des années trente au béton tagué des banlieues françaises d’aujourd’hui, la mise en scène questionne à chaque instant les consciences politiques, sans pourtant donner la leçon. En cela, elle rejoint les préoccupations de Gershwin auquel la morale a tant reproché. L’imparable humanité de l’affaire, associée à de sérieuses piqûres de rappel quant à l’histoire du racisme nord-américain, touche plus que tout manifeste. En projetant la bouille en larmes d’un bébé sur la berceuse initiale, relayée bientôt par les visages adultes tentant de le rassurer, elle accorde dès l’abord au spectateur la possibilité de s’identifier ou non à ce beau bébé bientôt rieur, parallèle métaphorique de l’action des grands, fil conducteur bercé de mains en mains par un destin capricieux. La face rageuse de Crown qui saigne Robbins fait frémir la salle, la crudité du meurtre violent le regard, de même que la sensualité sauvage des retrouvailles sur l’île trouble et qu’angoisse intimement le déchaînement marin qui broie Clara dans sa peur, s’échappant follement d’un radeau de la Méduse qui vous emporte dans la tourmente. N’est-ce pas simplement magnifique, après tout cela, de voir Porgy abandonné rouler vers l’espoir ?
Tant sur l’écran que sur les planches avec lesquelles il dialogue, l’engagement dramatique des artistes est total, faisant corps avec une conception qui a raison de n’avoir peur de rien et s’appuie sur une remarquable direction d’acteur. Chaque protagoniste y est précisément construit par des relations humaines nettement définies, au-delà du seul respect du livret. Des situations satellites, mais jamais parasites, tissent une vie trépidante, les tensions se rompant alors tout naturellement aux points clés de l’action.
Saluons l’investissement des chanteurs, tous parfaitement distribués. Parmi une vingtaine de voix se remarquent la clarté du timbre élégant de Phumzile Sojola en Robbins, la pâte généreusement projetée du Jim de Jean-Loup Pagésy, l’abattage scénique de Rodney Clarke en Jack, le truculent Frazier de Keel Watson et la solidité du chant de Ronald Samm qui campe un Sporting Life subtilement pervers romptant avec la petite frappe élégante et tête-à-claque attendue. En Clara l’on retrouve le chant de Magali Léger qui se fait ici plus égal, la voix gagnant une rondeur avantageuse. Kristin Lewis est une Serena à l’impact généreux, livrant à My man’s gone now un superbe legato et une émotion indéniable. Attachant entre tous, le rôle de Maria, bienveillante autant qu’énergique gardienne des passions de son pas de porte, bénéficie de l’épaisseur vocale épicée de LaVerne Williams.
Enfin, avec un phrasé onctueux exquisément porté, le Porgy de Derrick Lawrence rencontre la voix pleine, richement colorée, et la chaude expressivité de Janice Chandler-Eteme, irrésistible Bess, leur fameux duetto du II emportant tous les suffrages – Bess, you is my woman now /Porgy, I’s yo’ woman now.
Le chef américain William Eddins conduit dès l’Ouverture les musiciens de l’Orchestre de l’Opéra national de Lyon dans une interprétation claire et équilibrée qui calmement appuie une relative sensualité sur les cuivres. Peu à peu, sa lecture se fait plus dramatique, également plus lyrique, suivant fidèlement la dramaturgie qu’elle accuse ingénieusement de son relief. Dans le détail, on se souviendra particulièrement de la jouissive violence rythmique accordée à la bacchanale de Kittiwah et du chatoiement ménagé au duo amoureux du deuxième acte. Les Chœurs maison servent d’une vigueur notable une représentation d’une rare qualité.
BB