Chroniques

par laurent bergnach

portrait d’Unsuk Chin – épisode 4
Victor Hanna (percussion) et Dimitri Vassilakis (piano)

Festival d’automne à Paris / Philharmonie
- 27 novembre 2015
4ème portrait d'Unsuk Chin par le Festival d'Automne à Paris : 27 novembre 2015
© kim moon jung

Quelques semaines après l’inauguration de son Portrait à la Maison de la Radio, à grand renfort d’ensemble et d’orchestre philharmonique [lire nos chroniques du 10 octobre, à 20h et 16h, et du 9 octobre 2015], c’est une compositrice plus intime que nous découvrons en cette fin d’après-midi – dans l’amphithéâtre de ce qu’on appelait encore Cité de la musique, voilà moins d’un an.

Par la radio et les concerts de sa Corée natale, Unsuk Chin (née en 1961) baigne dans la musique romantique (Beethoven, Tchaïkovski, Brahms) avant de découvrir la modernité de Bartók et Stravinsky, puis le travail de leurs divers héritiers (Boulez, Stockhausen, Nono, etc.). Au milieu des années quatre-vingt, elle peut échapper à la dictature et s’installer en Allemagne, sur les conseils de Sukhi Kang, compositeur et pédagogue. À travers l’enseignement de Ligeti, Chin découvre l’objectivité du jugement européen et la nécessité d’être originale. Découragée mais endurcie, elle relève le défi de la maîtrise électronique et s’enferme dans le bunker climatisé de la Technische Universität (Berlin), alors qu’elle sait à peine allumer un téléviseur. Autorisée à se croire compositrice, la future maman d’Alice in Wonderland [lire notre chronique du 14 juin 2010] fait créer Allegro ma non troppo (1994) au Festival Inventionen.

Le 25 septembre 1998, toujours dans le cadre de la manifestation berlinoise, la version électro-acoustique de cette pièce laisse place à celle pour percussion et bande que nous entendons en début de concert. En plusieurs étapes aux sonorités amplifiées, Victor Hanna – remarqué ce printemps dans Assonance VII de Jarrell [lire notre chronique du 15 juin 2015] – commence par ouvrir un énorme paquet-cadeau, pour en extraire nombre de papiers de soie colorés et les lancer en l’air avec jubilation et frénésie. La percussion proprement dite intervient ensuite, d’abord attachée aux gongs, avec différents rendus (granulosité, vrombissement, etc.) d’approches variées (frôlement, frottement, frappement, etc.), puis aux timbales. Entre les deux, plus ou moins loin d’un micro, l’interprète va manipuler quelques objets récurrents (horloges, verres, tambourin, seau à champagne, etc.), terminant sa prestation par le remballage des papiers, et l’envoi dans le public, sous forme d’une boule compactée avec rage, de ce qu’on suppose être une lettre de l’expéditeur. Applaudissements et rires !

En guise d’entracte, entourée de Frank Harders et Martin Kaltenecker, Unsuk Chin présente les deux parties du programme. La première, plus que la fluidité entre un timbre et le suivant, est l’occasion d’évoquer la question du temps. Par ce « cérémonial musical », en effet, recherche du son autant que clin d’œil, la créatrice montre que notre expérimentation du flux temporel est concrète autant qu’abstraite – d’ailleurs, la durée de ses douze minutes n’est-elle pas perçue différemment par chacun ? La seconde, choix de quatre études pour piano – dont certaines déjà jouées par Sunwook Kim en octobre –, témoigne de l’admiration pour Nancarrow mais plus encore de l’amour pour « l’instrument le plus intéressant », présent depuis l’enfance, avec son alliage idéal, cristallin et métallique.

Récent promoteur d’une intégrale Boulez [lire notre critique du CD], Dimitri Vassilakis offre tout d’abord, d’une frappe nerveuse, l’Étude n°1 In C (1999/2003), dont une note grave contrebalance avec régularité les pépiements suraigus. Comme Doppelkonzert (2003) attendu en soirée, elle témoigne de l’influence du gamelan découvert à Bali, lequel fascine Unsuk Chin par la contradiction entre la simplicité de ses soli et la riche complexité d’un jeu collectif. Proche des tourbillons ligétiens, l’Étude n°4 Scalen (1995/2003) tournoie avec virtuosité autour du médium, osant des martellements plus graves, pour finir. Par comparaison, l’Étude n°5 Toccata (2003) semble moins compacte et statique, avançant avec un calme ajouré. Mais chassez le naturel… L’Étude n°6 Grains (2000), inspirée par la décomposition numérique du son, regorge d’agitation aigue, d’animation volubile.

LB