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Chroniques
Présences George Benjamin – épisode 3
création mondiale d’Urphänomen II.B de Sasha J. Blondeau
Le Chœur de Radio France étant sur scène ce soir, il est non seulement normal mais nécessaire qu’un de ses membres vienne rappeler au public la menace pesant sur un tiers de son effectif de quitter l’institution, puisqu’un gouvernement persiste à faire passer la spéculation avant la culture – et on sait comment ces choses-là se terminent… Normal, aussi, que Martina Batič se tienne face à la formation, sa directrice depuis septembre 2018, mais fidèle de Présences depuis 2017.
Clarinettiste de formation, Harrison Birtwistle (né en 1934) attendit la trentaine pour se consacrer entièrement à l’écriture, montrant dès lors son intérêt pour bien d’autres sonorités. Le chant, en particulier, tient une grande place dans son catalogue. Qui connaît ses incursions dans l’opéra et le théâtre musical ne s’étonnera pas d’entendre douze voix dans The Moth Requiem [lire nos chroniques de Punch and Judy (1968), The mask of Orpheus (1986), Gawain (1991) et The minotaur (2008)]. L’insecte du titre, auquel s’est intéressé le compositeur féru de biologie durant l’adolescence, est surtout présent dans un poème d’un de ses librettistes, Robin Blaser (1925-2009). Ce dernier raconte comment, en ouvrant le couvercle de son piano, il libérait un papillon de nuit, prisonnier inattendu et musicien malgré lui. La fluidité mélodique de la flûte alto (mélismes, etc.) et les cordes des trois harpistes font directement référence à cet épisode, n’en doutons pas, avec une discrétion qui n’est pas souvent autorisée aux chanteuses en charge de mots scandés, fragmentés, expressionnistes.
Avec ses périodes Ircam (2013-2017) et Villa Médicis (2018-2019), Sasha J. Blondeau (né en 1986) sut approfondir ses études musicales lyonnaises et continuer une réflexion sur les sciences humaines. Il a débuté notamment le cycle Urphänomen – terme goethéen désignant les « phénomènes originaires » qui précédent chaque découverte ou intuition scientifique –, laboratoire de recherche pour des œuvres d’envergure. Le pianiste Philippe Hattat crée ce soir Urphänomen II.B, dont les premières notes, nerveuses dans l’extrême aigus, annoncent une vivacité parfois électrique qui ne domine pas entièrement la pièce. À l’aide d’un plectre, il obtient différents sons des cordes (couinement, déchirure, etc.), lesquels font le lien avec l’électronique live (Blondeau, Lemouton, Meudic). Celle-ci s’avère discrète, dans l’ombre du piano, mais peut aussi gronder, en prolifération. Avec cette pièce dense jusque dans la fluidité, le compositeur se montre expert en musique mixte, voire pionnier d’une nouvelle lutherie.
Inspiré par Bartók et Kodály durant sa jeunesse, György Ligeti (1923-2006) impose sa personnalité après avoir fuit la Hongrie, conséquence de l’échec de la révolte populaire contre l’oppresseur communiste (1956). Un an après Requiem, Lux aeterna (1966) continue d’explorer couleurs et densités sonores à partir d’un texte de la liturgie romaine catholique. Rare au concert, cette courte pièce rendue célèbre par le cinéma de Kubrick [lire notre chronique du 16 mars 2019] jouit d’un fondu savamment distribué par Martina Batič.
La cheffe slovène intervient une dernière fois dans l’ultime version de Fanfare chimérique (2011/2020) pour orchestre de huit cuivres et huit vents [lire notre chronique du 15 avril 2011], dont la brillance des uns et l’onctuosité des autres sont saupoudrés d’électronique par leur créatrice, Unsuk Chin (née en 1961). Comme pour Birtwistle, les instrumentistes sont de jeunes élèves de conservatoire, ce qui donne aux cuivres une énergie que n’auraient peut-être pas offerte des artistes plus expérimentés.
LB