Recherche
Chroniques
Présences Tristan Murail – épisode 5
quatre créations par Proxima Centauri
L’hybridation est au cœur du sixième rendez-vous de l’édition 2022 de Présences, avec Proxima Centauri, un ensemble de musique de chambre natif de Bordeaux qui, depuis trois décennies, explore les possibilités d’interactions avec l’électroacoustique, entre autres, avec des dispositifs de lutherie augmentée. Les quatre créations au programme de concert en font entendre quatre déclinaisons complémentaires.
Commande de Radio France, Ombres de Raphaèle Biston développe les ambiguïtés perceptives entre les sources acoustiques au sein même de l’instrument, les originelles et celles transformées par l’électronique de Christophe Havel, dans des effets suggestifs de démultiplication – ils justifient le titre de la pièce. Sur un tempo mesuré et dans une semi-pénombre, les premières apocopes du saxophone s’affirment sur un treillis de percussions et de piano qui progresse vers un climax auquel se joignent les accents mordants du saxophone de Marie-Bernadette Charrier et les stridences de la flûte de Sylvain Millepied, avant de conclure dans les limbes ce discours bien mené, sans gratuité démonstrative.
Pour présenter l’opus que lui a commandé Radio France, An hourglass on a spine axis, Elena Rykova cite un poème d’Alla Gorbunova dans la brochure détaillée du festival, évoquant une biologie altérée ou substituée. Cette épigraphe prépare la plongée dans une matière sonore en cours de sublimation, où le souffle instrumental se mêle au murmure des interprètes eux-mêmes, dans le barattage d’une parenthèse musicale aux allures de diffraction aquatique. Les repères de l’auditeur s’estompent alors, et la partition comme l’oreille semblent à l’affût.
Conçu pour Alla breve, au format de cinq épisodes miniatures, Mogari de Didier Rotella, qui reçoit aujourd’hui sa première en public sous les doigts du compositeur, aux côtés des musiciens de Proxima Centauri, se distingue par une construction nettement plus affirmée, sans doute fruit des contraintes de la commande radiophonique. La page s’inspire du rituel mortuaire japonais, depuis la sanction divine jusqu’au retour de la paix. Descriptifs et évocateurs, les deux premiers mouvements cèdent à des passages plus chorégraphiques où le fourmillement rythmique se superpose à un croisement quasi fusionnel des registres harmoniques, entre piano et percussions, entre autres, accentué par les anamorphoses électroniques, avant un envoi réconciliateur.
Joué pour la première fois en 2019 à Cenon, Sabia fait appel à l’un de ces dispositifs hybrides qu’affectionne Juan Arroyo. Ici, les quatre pupitres sont flanqués d’une membrane qui sert de sortie acoustique au traitement électronique. En quatre parties, comme autant d’offrandes à la nature, la partition a été revue par le compositeur : il a supprimé le prologue et l’épilogue de déclamation murmurée des solistes, afin de resserrer le propos en cette nouvelle version, crescendo dramatique tendu au fil des mises en avant successives de chacun des pupitres, nimbées dans un bruissement électroacoustique. Terre en flammes est propulsé par la percussion tellurique de Benoit Poly, contrastant avec les égrenages pianistiques d’Eau sans souffle sous les doigts d’Hilomi Sakaguchi. La flûte porte les effluves d’Air ensablé, avant que la volubilité mugissante du saxophone n’emmène Feu sans rives vers un irrésistible feu d’artifice final, qui aurait encore gagné à une mise en espace (à laquelle l’œuvre se prête, et ici initiée par Michel Schweizer) moins bridée par la disposition du plateau du Studio 104, qui aurait permis aux auditeurs de mieux éprouver la spatialisation originale du dispositif.
GC