Recherche
Chroniques
Présences Tristan Murail – épisode 9
récital Marie Ythier, violoncelle
Le dixième rendez-vous de Présences –également le premier de ce jour de clôture de l’édition 2022 du festival de création de Radio France – est dévolu, comme souvent, à un instrument soliste : cette année le violoncelle.
Le récital de Marie Ythier s’ouvre sur une page du compositeur à l’honneur, Tristan Murail. Pièce écrite pour alto en 1976 et transposée dix-huit ans plus tard pour Viktoria Gantchikova, C’est un jardin secret, ma sœur, ma fiancée, une source scellée, une fontaine close, une source scellée... est une miniature aux allures d’étude qui condense une variété de jeux dans une oscillation heuristique de la ligne de chant.
Ce travail sur le grain du discours est magnifié dans Curve with plateaux, œuvre que Jonathan Harvey a conçue en 1982 à partir d’un « modèle de la personnalité humaine »avec du grave vers l’aigu, le physique, les passions et la pensée. Mais le cisèlement du phrasé et des textures, jusqu’aux irisations inouïes au plus près du chevalet, dépasse le schéma premier d’inspiration. Il donne corps à une exploration de l’anatomie sonore de l’instrument, dans des expérimentations qui ne s’écartent jamais de l’intensité expressive. Son exceptionnelle acuité poétique – illustrant la profonde sensibilité d’un compositeur qu’il serait opportun de programmer davantage, à l’heure du dixième anniversaire de sa disparition – est restituée avec une belle concentration par la soliste française.
Les deux commandes de Radio France qui lui succèdent ne peuvent manquer, en comparaison, de respirer quelque peu l’anecdote. Soutenue par la Fondation Musique et Radio et l’Institut France/Chine, Shunan Hu propose, avec Les fleurs du pêcher s’épanouissent, une variation autour d’un texte écrit par la poétesse chinoise Youyou Yu pendant son adolescence. Elle puise dans les ressources de la lutherie folklorique traditionnelle pour enrichir la réinvention de l’assimilation personnelle de son patrimoine culturel dans des codes occidentalisés. Au delà de couleurs idiomatiques, le résultat s’approche d’un genre domestique dont article 10 [prismes] de Rozalie Hirs constitue un avatar. Dixième jalon d’une série que la Néerlandaise écrit pour instruments solistes, la pièce décline des nuances d’éclairages harmoniques avec un artisanat indéniable que l’on envisagerait chez Vermeer.
Création sollicitée par le festival Messiaen au pays de la Meije en 2017 à Bastien David pour Marie Ythier, Riff, fidèle à ce qu’en suggère le titre, développe une immersion dans la répétition évolutive d’un court motif à la pulsation irrésistible. La gratuité assumée du propos se révèle efficace, voire enivrante, et l’interprète ne manque pas d’en défendre l’énergie. Le récital se referme avec Attracteurs étranges – la partition de Murail emblème du programme –, imaginé en 1992 pour le soixante-dixième anniversaire de Xenakis, avec lequel la violoncelliste a rencontré le musicien spectral – elle a d’ailleurs gravé l’opus. Si les mathématiques sont une source poétique, ils ne fondent pas les procédés d’une page imagée modulant sans cesse la granulation du son et de la ligne, et exigeant une virtuosité consommée qui ne fait point défaut ici.
GC