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Chroniques
Présences Wolfgang Rihm – épisode 10
Bach/Aho, Rautavaara, Rihm et Strauss
Si l’édition 2019 de Présences a introduit quelques innovations, l’iconoclasme le plus sensible au regard du cahier des charges et du tropisme du festival est réservé au concert de clôture, ce dimanche soir, davantage orienté vers le grand répertoire que vers la création, dans un souci néanmoins louable de ne pas confiner l’un et l’autre dans leurs ghettos respectifs. À la tête de son Orchestre Philharmonique de Radio France, Mikko Franck témoigne néanmoins d’affinités plus évidentes avec une écriture héritée de la tradition plutôt qu’engagée dans des explorations modernistes.
A cappella, la Missa Brevis de Wolfgang Rihm, écrite en 2015 à la demande du Bayerischer Rundfunk (Radio Bavaroise) et jouée aujourd’hui pour la première fois en France, déploie une belle concentration vocale et expressive. L’économie s’entend dès le Kyrie, dans une tension entre lignes homophoniques d’une évidente retenue et développements contrapuntiques qui s’intensifie dans un Gloria d’un saisissant resserrement. Sans pastiche, l’héritage du baroque et du classicisme viennois (songeons à Haydn) se trouve réinventé par un langage personnel mais sans exhibition subjective. Le Sanctus ne démentira pas ce façonnement de la matière chorale, admirablement galbée par la conduite précise de Martina Batič, qu’on put apprécier à plus d'une reprise au cours de cette semaine. Quant à l’Agnus Dei qui referme la partition, il s’évanouit dans un recueillement inquiet, suspendant l’écoute au delà des notes.
Due à Mikko Franck lui-même, l’ultime commande de Présences* ne se préoccupe pas de consonances esthétiques, si ce n’est une sensibilité crépusculaire et méditative qui innerve le présent programme. Avec une orchestration achevée par Kalevi Aho, après la mort d’Einojuhani Rautavaara (1928-2016), les Deux Sérénades du Finlandais – Sérénade pour mon amour et Sérénade pour la vie – privilégient un moelleux postromantique, remarquablement mis en valeur par le violon d’Hilary Hahn [lire notre chronique du 23 janvier 2009]. Chatoyant l’oreille, les ondoiements mélodiques s’appuient sur un vibrato au grain généreux et maîtrisé, invitant à une ballade lumineuse, un peu sentimentale sans doute.
On passera rapidement sur le Double Concerto pour hautbois et violon en ut mineur BWV 1060 de Johann Sebastian Bach où résonne la complicité accidentelle et instinctive entre la soliste américaine et Hélène Devilleneuve [lire notre chronique du 22 octobre 2010], sur une soie orchestrale rendue obsolète par l’évolution des pratiques, quoique sans lourdeur coupable : bien qu’ils puissent être féconds, les miroirs avec le monde baroque auraient besoin d’un autre opus. Le songe se fera plus amer dans les Metamorphosen de Richard Strauss, autre page du soir de la vie, inspirée par la déréliction de la civilisation allemande sous la débâche nazie et les bombardements alliés. Équilibrant la clarté de la forme, ondulant au gré des variations, et la sensualité d’une pâte sonore élégante, le chef livre le meilleur de son talent que les cordes du Philhar’ relaient de manière presque symbiotique. Une belle conclusion – et une conception quelque peu germanique de la création contemporaine passée au tamis du répertoire, peut-être pas trahie autant qu’il y paraît dans ce final paradoxal.
GC
* au lecteur notre équipe proposait une immersion dans Présences 2019, non exhaustive
mais conséquente, au fil de dix concerts sur les quinze présentés par le festival :
aussi en retrouvera-t-il ici les épisodes 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 et 9