Chroniques

par bertrand bolognesi

Présences Wolfgang Rihm – épisode 8
deux créations mondiales, signées Máté Bella et Florent Caron Darras

Studio 104 / Maison de Radio France, Paris
- 16 février 2019
L'EIC joue "Hesperus" du jeune Máté Bella au festival Présences 2019
© martin bella & vivien naomi

À la Maison ronde, la vingt-neuvième édition de Présences, le festival de création de Radio France, conclut son cinquième jour par un concert de l’Ensemble Intercontemporain (EIC) qui croise les arts à partir d’une œuvre de Wolfgang Rihm, le compositeur fêté cette année. De fait, ce samedi s’avère tourné vers l’image, puisqu’un concept vidéo soutenait le concert de 14h30 destiné aux enfants, durant lequel l’Orchestre national de France donnait Babylon Suite de Jörg Widmann, d’après l’opéra éponyme [lire notre chronique du 21 juillet 2013]. Enfin, le rendez-vous matinal se concentrait sur les projections d’un documentaire de Sebastian d’Ayala Valva, Le premier mouvement de l’immobile (2017), et d’un concert filmé à l’Auditorium où le Chœur et l’Orchestre Philharmonique de Radio France interprétaient, il y a deux ans, Uaxuctum de Giacinto Scelsi sous la battue d’Aldo Brizzi – il était initialement prévu que notre équipe s’y rendît, mais le cinéma Le Balzac étant situé en un endroit aujourd’hui rendu parfaitement inaccessible en transport en commun par la préfecture de police de Paris, il fallut s’en priver.

Après le fort beau concert du Quatuor Diotima avec, principalement, Fetzen de Rihm et Unbreathed de Rebecca Saunders [lire notre chronique du jour], prenons place au Studio 104 pour le dixième concert 2019 de Présences – merci à Radio France d’en favoriser la transmission musicographique par notre média, a contrario de la censure abjecte qu’exerce sur notre équipe l’agence parisienne en charge de la presse pour le festival [ndr]. Spécialiste de la musique contemporaine du Japon, où il naquit en 1986, Florent Caron Darras – percussionniste également féru de chant grégorien, qui intervenait récemment lors du colloque Le compositeur et l’histoire [lire notre chronique du 30 janvier 2019] – présente en première mondiale sa réponse à une commande de Radio France et de l’EIC. Sa note d’intention (publiée dans la brochure de salle) s’attache aux oiseaux pyromanes qui transportent « des brindilles enflammées sur plusieurs centaines de mètres afin d’influencer la propagation des incendies et de piéger leurs proies », tel le Milan noir, titre de ce nouvel opus (2018) pour flûte avec piccolo, clarinette avec clarinette basse, violon, alto, violoncelle et piano, qui adopte « un processus de développement semblable à celui des flammes depuis l’étincelle ». Sifflante et rasante, une attaque oxydée s’abat sur la scène, laissant à nul silence soin de respirer l’inquiétude de cette page tournoyanted’une dizaine de minutes, plus contemplative que d’avoué. Dans le flottement de quelques couleurs spectrales, elle épuise vite son unique idée musicale – un glissando flûtistique répété à l’envi.

Élève de la Zeneakadémia Liszt Ferenc à Budapest (Académie Liszt, équivalent de notre CNSMD), de 2006 à 2011, Máté Bella, né en 1985 [photo] connaît assez tôt la chance de voir sa musique largement diffusée, en Hongrie comme ailleurs (Londres, Munich, Ostrava, etc.). Actuellement professeur assistant à l’institution susnommée, il ne dédaigne pas de composer à d’autre destination que la seule sphère classique et fricote volontiers avec la scène pop. Nous découvrons Hesperus (2017) pour alto et ensemble (deux flûtes, deux clarinettes, harpe, trois violons, alto, deux violoncelles, contrebasse) en création mondiale (commande de l’EIC). Cette œuvre quasi concertante s’inspire à la fois du concept de flow révélé par le psychologue étasunien d’origine hongroise Mihály Csíkszentmihályi, et de la planète Vénus, selon sa dénomination mythologique. « Je m’intéresse à l’écriture de processus musicaux lents et longs où l’on va d’éléments ressemblant à des bruits jusqu’à des sons ou de sons jusqu’à des bruits. Le ton de l’œuvre cherche à créer un monde pour l’auditeur, dans lequel il contemple une étoile scintillante dans la nuit ». À partir d’un énigmatique feulement des cordes sur la touche ou le cordier, une impalpable onde de harpe se répand par à-coups. Tour à tour hésitante ou semi-lyrique, la partie d’alto souverainement tenue par l’excellente Odile Auboin, sur un paysage gazouillé, un rien New Age, sacrifie à une esthétique kitch et complaisante.

Toujours sous la battue sainement lisible et infiniment souple de Dylan Corlay, nous entendons après l’entracte Concerto Séraphin (2006)de Wolfgang Rihm, une page d’environ trois quarts d’heure pour ensemble instrumental, ici jouée sous un écran où l’on voit No more masterpices, un film du collectif néerlandais 33 1/3 qui trouva son fil conducteur dans les écrits théoriques d’Antonin Artaud – alors sous la direction de Julien Leroy, l’EIC programmait déjà cette association son/image à la Cité de la musique. Assez rapidement, on se désintéresse de cet extension visuelle pauvre et redondante pour mieux goûter une partition des plus drues, rituel sauvage qui, outre de faire magnifiquement dialoguer deux pianos de part et d’autre du plateau, offre une partie de cor anglais passionnante. Rihm s’est activement penché sur les créateurs dits fous, tels Artaud, Nietzsche, Hölderlin ou Lenz, sans oublier Celan dont la violente paranoïa transparait à la lecture de ses lettres. Parce qu’il nous faut avouer une incapacité à accueillir la proposition vidéastique, incitons le lecteur à s’en faire par lui-même une idée grâce à cet extrait disponible sur la plateforme Vimeo. Le bonheur d’entendre l’œuvre de Rihm, et particulièrement par ces musiciens experts, s’en trouve fort heureusement indemne, à la suite de ses Klavierstück n°5, Blick auf Kolchis, Zwei Linien, Transitus et surtout In-Schrift 2 dans lesquels Présences nous plonge depuis mardi soir.

BB