Chroniques

par bertrand bolognesi

Présences Wolfgang Rihm – épisode 9
trois créations mondiales, signées Philippe Schoeller,

Vincent Trollet et Adrien Trybucki
Studio 104 / Maison de Radio France, Paris
- 17 février 2019
au festival Présences 2019, "Astralis" de Wolfgang Rihm par Musicatreize
© christophe abramowitz | radio france

En ce dimanche après-midi, pour l’une des dernière fois retentit Jingle für Radio France composé pour chœur d’enfants, percussion, piano et grand orgue en 2018 par Wolfgang Rihm, le compositeur célébré par l’édition 2019 de Présences. Mais peut-être la maison ronde n’en limitera-t-elle point l’usage à son festival annuel de création, conviant le public à gagner les rangs de ses salles de concert avec ce fort beau signal d’environ trente secondes, joyeusement conclu dans le volettement rieur des petits gosiers. « Was ist denn da? Ich weiß es nicht! » entend-on chanter les haut-parleurs… qu’est-ce que c’est ? Justement, il s’agit aujourd’hui de chant, tout à l’heure dans la soirée de clôture où sera donnée la Missa Brevis (2015) de Rihm [photo] en première française, et de suite avec ce pénultième rendez-vous que sert Musicatreize. Depuis plus de trente ans, l’ensemble vocal phocéen et son chef fondateur Roland Hayrabedian défendent un répertoire en perpétuel devenir, au fil d’une activité novatrice [lire nos chroniques du 21 septembre 2004, du 10 décembre 2011, du 21 janvier 2012 et du 2 mars 2017, ainsi que notre critique du CD Ohana].

Trois commandes de Radio France sont à l’honneur, toutes jouées en création mondiale. Pour commencer, Eros Songs de Philippe Schoeller [lire nos chroniques de Cinq Totems, Zeus, Ganesha, Dura lex, Operspective Hölderlin, Archaos Infinita, J’accuse, The eyes of the wind, Six Incantations, Incantation VII, Dolce volcano et Hommage à Vincent van Gogh], où se font face deux groupes de six voix mixtes. Amorcée dans le souffle, voire le halètement, la pièce conduit l’écoute dans la langue du désir, si ce n’est celle de ses luttes et insatisfactions définitionnelles – en cela elle fait écho à bien des pages de l’essai de Jean-Luc Nancy, Sexistence (Galilée, 2017). Passée une brève phase onomatopéique, une sorte de poussée élégiaque s’élève, peu durable elle aussi, quant une séquence d’entrelacs piano faussement informels mène peu à peu à la parole – touch, love, enfin secouez-moi. La dimension savoureuse du plaisir n’est pas en reste, avec les nombreux mmmmmmm de l’approche, du conseil, du commentaire en action, du souvenir, aussi.

Diplômé des CNSMD (acoustique musicale) et CRR (composition) de Paris, Vincent Trollet, né en 1978 à Pau, a complété l’étude de son art à la Haute École de Musique de Genève et à l’Ircam. Blessure prend appui sur un poème inédit de l’écrivaine Gabrielle Althen, « déploiement d’une passion, depuis la blessure existentielle originelle jusqu’à celle qui tient au refroidissement de l’intérêt amoureux », précise le compositeur (brochure de salle). « Le projet musical a été de faire disparaître les lignes vocales au profit d’un espace sonore animé par des plans et des textures qui évoluent sur un modèle de croissance : le système de Lindenmayer. » * Drument impactée, cette page pour huit voix mixtes et clarinette (Florent Pujuila) se signale d’emblée par une signature personnelle. Entre le bois chaleureux, le soprano triomphant et la basse profonde, volontiers granuleuse, le contraste favorise une sorte d’élargissement de la sphère strictement vocale dont intrigue la sinuosité, tout au long des sept strophes.

Né à Toulouse en 1993, Adrien Trybucki est déjà l’auteur, à vingt-cinq ans, d’un catalogue de plus de trente opus. Après Raíces (2015) pour sept musiciens et électronique [lire notre chronique du 11 mai 2017], nous découvrons Clastes qui partage le même effectif que Blessure de Trollet, à ceci près qu’intervient au cœur du mouvement la clarinette basse. « Au commencement, un tableau fragmenté se dévoile, vestige d’un monde brisé. Chaque fraction d’un tissu d’éléments clastiques se superpose, s’accumule et se juxtapose à ses semblables, dans un agrégat vocal naissant », explique-t-il (même source). Clastes est littéralement lancé par des tenues d’un soprano et de la clarinette sur un glissando d’un autre soprano où apparaissent bientôt des inserts rythmiques d’une nature hésitante. Après ce quasi prélude, il met en branle d’habiles déconstructions en généralisant le phénomène glissando, alors étalé en fractale contrariée que ponctuent des attaques vocales franches et un ostinato inexact, si je puis dire, de la clarinette basse. Avec le retour cyclique de l’idée initiale, la forme n’en est certes pas nouvelle (ABACA) mais le traitement interne de chaque section relève d’une écriture puissamment raffinée.

Après une courte pause, retrouvons Wolfgang Rihm avec son Astralis pour seize voix mixtes, violoncelle et deux timbales (Christian Hamouy). À partir de vers du romantique Novalis, cette œuvre fut écrite en 2001 et créée à Berlin en janvier 2002. L’approche en est grandement perturbée par les reposés d’archet malencontreux d’un violoncelliste également imprécis quant à l’intonation, si bien que le chœur ne parvient plus à orienter son rigoureux effort. Envisageons aussi qu’Astralis se révèle trop difficile pour les forces à s’y mesurer aujourd’hui. Bref, cette exécution cruellement frustrante ne bénéficie pas des atouts ni du recueillement méditatif qu’on en attend. Dans une demi-heure tintera le sonal décrit plus haut, enregistré par Marie-Noëlle Maerten à la tête de la Maîtrise de Radio France, avec Florent Jodelet à la percussion, Franz Michel au piano et Thomas Ospital à l’orgue : alors il sera temps de conclure Présences à l’Auditorium avec l’ultime concert, bientôt commenté par notre confrère.

BB

* La grammaire formelle du biologiste hongrois Aristid Lindenmayer (1925-1989)