Chroniques

par bertrand bolognesi

première française d’Alhambra de Péter Eötvös
Isabelle Faust, Orchestre de Paris, Pablo Heras-Casado

Philharmonie, Paris
- 11 septembre 2019
Pablo Heras-Casado dirige l'Orchestre de Paris : Debussy, Eötvös et Stravinsky
© fernando sancho

Commande associant les Berliner Philharmoniker, la BBC, l’Orchestre de Paris, le Mahler Chamber Orchestra et le Festival Internacional de Música y Danza de Granada où son directeur artistique, Pablo Heras-Casado, en dirigeait la création mondiale le 12 juillet dernier, Alhambra (2018) est le troisième concerto pour violon et orchestre de Péter Eötvös. Seven, le premier, fut conçu en 2006 à la mémoire des sept spationautes disparus dans l’explosion de la navette Columbia, trois ans plus tôt [lire notre chronique du 22 mars 2009]. En 2012 survint le deuxième dont le titre, DoReMi, évoque le b.a.-ba de la musique via les trois premières notes de la gamme [lire notre chronique du 22 novembre 2014]. Le nouveau concerto s’attache, quant à lui, au passionnant complexe architectural qu’est l’Alhambra de Grenade. Comme nombre de ses confrères d’hier et d’aujourd’hui, Eötvös procède ici par cryptogrammes : outre une polarisation sur Grenade à travers la note sol – G dans le solfège international –, il glisse les noms des interprètes auxquels l’œuvre est dédiée – ses créateurs Isabelle Faust et Pablo Heras-Casado, qui déjà dirigeait la première de DoReMi (Los Angeles, 18 janvier 2013) – tout en effectuant un jeu de combinaisons mélodiques en épelant la-la-si-la-mi-si bémol-ré-la, les lettres du palais, si je puis dire. « La forme générale est libre, certaines sections sont répétées […] Cela ressemble à une promenade dans le bâtiment mystérieux de l’Alhambra », précise l’auteur (brochure de salle).

Il revient à l’instrument soliste de guider l’auditeur dans une visite onirique du bâtiment dont l’orchestre (six flûtes, deux hautbois, quatre clarinettes, saxophone, deux bassons, deux cors, deux trompettes, deux trombones, percussions, célesta, mandoline, harpes et cordes) dépeint l’architecture ornementale en autant de pièces imaginaires, à la faveur d’une écriture timbrique inventive et précieuse, enrichie d’une mandoline accordée en scordatura qui se fait écho de la partie solistique. Isabelle Faust ouvre le rêve en solo, dans un geste qui mêle des arabesques, qu’on pourra dire figuratives, une péroraison saisissante, âpre et fantasque, gagnée par un orchestre d’abord concentré dans les intrigantes sveltesses de la harpe, de la mandoline, des percussion (triangle, diverses cloches, vibraphone, crotales cinglants, etc.) et du célesta, bientôt rehaussées par les harmoniques sifflées des violons. Eötvös joue d’un effet de flou, brouillant les lignes par l’artifice du tempérament de certains instruments. Toujours au premier plan, l’écriture violonistique navigue adroitement dans une brave mer technique où se succèdent intervalles vertigineux, trilles, doubles-cordes, battements musclés, trémolos, pizz’, chants d’harmoniques et glissandos, sans fragiliser Isabelle Faust qui, dans cet exigeant parcours, déploie une incomparable musicalité. L’orchestre s’aventure dans des tonicités presque dansantes puis une contemplation délicate, articulant le concerto en d’infimes fragments magnifiés par des alliages timbriques fascinants, dans une impédance toujours claire, scintillante même. Par le Sol obsessif, Grenade envoûte l’oreille jusqu’à la rêverie finale, dérive du premier motif en fuite vers l’aigu du tutti. Alhambra est un bijou, assurément !

Avant de le faire découvrir en création française, l’Orchestre de Paris donnait La mer de Debussy, avec un soin jaloux de chaque trait, donnant lieu à l’entrelacs raffiné de la soie et du lin pour une aube et un midi superbes de tendresse et de couleur. Le miroitement des vagues de la deuxième esquisse symphonique ouvre, pour finir, un joli Dialogue du vent et de la mer, sans toutefois parvenir à s’élever dessus le travail bien fait. De même Pablo Heras-Casado [photo] signe-t-il après l’entracte une lecture précise et léchée du Sacre du printemps dont l’énergie semble curieusement en baisse. Seuls les épisodes conclusifs de la première partie du ballet de Stravinsky, Adoration de la terre et Danse de la terre, transmettent la fièvre du rite, Le sacrifice commençant ensuite sans mystère pour s’achever dans une Danse sacrale proprette. Exempte de prise de risque, l’interprétation laisse sur sa faim.

BB