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Chroniques
première française de Glorious clouds de Dai Fujikura
Nicolas Dautricourt joue le Concerto Op.16 n°2 de Prokofiev
Dans le cadre de sa résidence à l’Orchestre national d’Île-de-France, nous retrouvons Dai Fujikura dont nous applaudissions ici-même la première de Ghost of Christmas par Enrique Mazzola, chef titulaire de la formation francilienne [lire notre chronique du 17 décembre 2017]. En ouverture de concert, la création française de Glorious clouds convoque un très grand effectif, sous la direction de Jamie Phillips. Cette fois, le compositeur britannique d’origine japonaise s’est inspiré des recherches sur le microbiome. Commande de l’ONDIF, du WDR Sinfonieorchester et de l’Orchestre Philharmonique de Nagoya, mondialement créée à Cologne à l’automne dernier [lire notre chronique du 2 novembre 2018], cette page d’une fascinante densité est ouverte par un entrelacs séduisant d’amorces mélodiques tournoyantes, glissées dans une vie qui tour à tour d’épaissit ou se restreint, au fil d’aléas dynamiques. Passionnément inventive, cette sorte d’hymne qui sourit se présente comme un collectif sans drame ni ténèbres, collaboration symbiotique heureuse d’où survient une lumière insaisissable. Les frôlement délicats des flûtes se superposent à l’incessant voyage des cordes quand de subtiles sonneries de métallophones provoquent autant d’échos aux trompettes. Une section de cordes glissando, calme et quasiment tendre, ponctue cette incroyable forge. Dans ce presque informe s’articule peu à peu un échange plus cadré, gagné par des inserts organistiques que délivrent les vents. Au sein des différents pupitre se dessinent quelques principes imitatifs, engendrant ensuiteun moment qui répartit des attaques flottantes sur une pédale infrangible. Contre toute attente, un violent accord éruptif déjoue l’écoute tout en sachant fondre son énergie dans l’insondable magma général. Fujikura édifie un crescendo en salves, jusqu’à un formidable échange entre cuivres et percussions qui rappelle le bondissement de la quatrième des Notations orchestrées de Boulez. Une coda survibrante clôt brièvement des glorieux nuages.
La tendance actuelle est d’associer à un programme un titre qui d’emblée le présente au public. Si celui de ce soir arbore la marque Hiver russe, c’est parce que les deux œuvres suivantes à le constituer furent écrites par des musiciens russes, l’une en 1940, aux États-Unis, l’autre à Paris en 1935. Rachmaninov et Prokofiev avaient quitté la terre natale, désormais soviétique ; le premier ne la reverrait jamais, le cadet décida d’y retourner – un choix qui ne s’avérerait point toujours heureux, comme l’on sait… Sous l’élégance sévère de l’archet de Nicolas Dautricourt [photo], le chant augural du Concerto en sol mineur Op.63 n°2 s’élève dans un saisissant nulle-part, vraisemblablement celui de l’espoir fou de Prokofiev en son intégration par l’URSS (il s’y installe en 1936, peut-être au pire moment). Strictement contemporain de Roméo et Juliette, le thème de l’Allegro moderato partage avec ce ballet une veine mélodique et dansée, de riche tournure. La vaste structure en variations virevolte sur un violon soliste d’abord chatoyant d’insouciance, bientôt inquiet. On apprécie grandement les répons des bois, fort joliment réalisés, ainsi que l’obstination des cordes graves et des bassons. Le violoniste français se joue sans froncement de sourcils de cette partition redoutable. Après le paisible Andante médian (annonçant Pierre et le loup de 1936), dont Dautricourt file confortablement les longues phrases épiques, avec un naturel confondant de lyrisme, la hargne de l’Allegro, ben marcato mord l’oreille comme une fête barbare à l’issue incertaine. Fort d’un évident succès, le soliste offre en bis un duo enjoué et spectaculaire, aux accents tziganes, avec son ami Alexis Cárdenas, premier violon de l’ONDIF. Généreux, il livre encore une page de Bach [lire nos chroniques du 7 décembre 2015 et du 7 septembre 2018, ainsi que notre critique du CD Szymanowski].
Un peu plus de cinq ans après ce concerto de Prokofiev (Madrid, 1er décembre 1935) étaient créées à Philadelphie les Danses symphoniques Op.45 de Rachmaninov (3 janvier 1941). De cet ultime opus du fameux pianiste-compositeur, nous entendons une lecture assez flatteuse. Initié dans un élan puissant, voire mafflu, Non Allegro bénéficie de cuivres scintillants et de bois luxueux dans sa partie centrale – voilà un orchestre en constant progrès. Jamie Phillips [lire notre chronique du 17 novembre 2016] ménage un sain relief, parfois traversé d’une sensualité bienvenue, et fait sonner chaque trait comme détail d’orfèvrerie. La Valse contraste ses cordes souples et rondes à l’étincelle méphitique des cuivres qui l’invitent. Le cor anglais de Marianne Legendre et le violon solo d’Alexis Cárdenas y font florès, ciselant l’opulence irrésistible des tutti. La remarquable gestion des équilibres, couleurs et ruptures de climat du troisième mouvement finit de convaincre de l’efficacité du jeune chef et de la bonne santé de l’Orchestre national d’Île-de-France.
BB