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Chroniques
Professor Bad Trip
cycle de Fausto Romitelli
Depuis 2006, la Fondation Singer-Polignac accueille des artistes en résidence, mis en lumière ensuite par le Festival Singer-Polignac . Cette année, crise sanitaire oblige, l’édition est entièrement virtuelle, si bien que chacun peut assister à des concerts donnés devant la caméra, du 11 au 15 novembre. Il y en a pour tous les goûts, avec des compositeurs nés dans la première moitié du XXe siècle, tels Carter, Dutilleux et Reich, ou dans sa seconde, comme Thierry de Mey (1956), Nebojša Jovan Živković (1962), Karol Beffa (1973), Bahaa El Ansary (1991) et le regretté Fausto Romitelli (1963-2004) qui ce soir retient notre attention, avec la diffusion de 19h.
Mais faisons d’abord un détour par le XIXe siècle puisque le programme débute avec une pièce d’Antonín Dvořák (1841-1904), la Sérénade en ré mineur pour vents, violoncelle et contrebasse Op.44. Celle-ci voit le jour à Prague, le 17 novembre 1878, une des années du musicien les plus marquées par l’inspiration populaire, comme le rappelle la biographie de Guy Erismann (Fayard, 2004) [lire notre critique de l’ouvrage]. Ainsi, par l’instrumentarium (cors, clarinettes, bassons, etc.), l’œuvre apparaît-elle « comme un décalque des orchestres villageois décrits par Wagner qui fit tant d’escapades en Bohême ».
Les douze musiciens du Balcon sont dirigés par Glass Marcano, jeune Vénézuélienne issue du programme social d’éducation El Sistema. Si l’on aime la grâce classico-baroque des premières minutes, force est de constater que la cheffe s’égare vite dans le choix des tempi – Andante con moto contemplatif autant que pesant – et de couleurs, glissant des accents russes et jazzy dans une pièce à caractère national. Le problème vient moins d’un manque de technique que de culture, ce qui peut facilement s’arranger.
À Strasbourg (1998, 2000) et à Paris (1999) furent données les trois Lessons qui structurent Professor Bad Trip [lire notre critique du CD]. Nourri par le mouvement spectral et par le rock psychédélique, Romitelli s’y inspire de l’expérience d’Henri Michaux avec les hallucinogènes. Il affirme : « […] la mécanique d’apparition, de transformation, de disparition des visions et des couleurs est très proche des formes de mon imaginaire auditif » (in Le corps électrique, L’Harmattan, 2005) [lire notre critique de l’ouvrage]. Francis Bacon captive également le musicien fasciné par « le travail de la distorsion et la violence absolue des couleurs » de certains tableaux – intérêt partagé par son confrère Mark-Anthony Turnage [lire notre critique du DVD].
Pour cette seconde partie de concert, Maxime Pascal retrouve sa formation… et déçoit d’emblée. Pourquoi ce leçon prononcé au lieu du lesson attendu, dont une quasi-homophonie avec listen (écoutez) indiquerait déjà un jeu avec l’altération ? Vient alors une carence de nuances qui place le premier quart d’heure sur un mode binaire, entre sécheresse et vacuité. Il faut attendre le solo électrifié du violoncelliste Askar Ishangaliyev pour retrouver l’âme de Romitelli et remettre le chef sur les rails. Comme dit plus haut : tout peut toujours s’arranger…
LB