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Chroniques
Prokofiev et Chostakovitch
Paul Mann dirige l'Orchestre national de Lille
L’Orchestre national de Lille termine sa saison avec ce concert dont la direction devait être assurée par Michael Christie, finalement remplacé par le New-Yorkais Paul Mann. Il s’agit de la première d’un programme repris dans quelques jours à Liège, puis à trois reprises dans différentes localités de la région Nord Pas de Calais.
Soliste du soir, Simon Trpčeski [photo] commence par dédier la soirée à sa mère, dont c'est aujourd'hui l'anniversaire. Il se lance ensuite dans le périlleux Concerto pour piano en ut majeur Op.26 n°3 de Sergueï Prokofiev qu'il avale d'une seule bouchée, en ogre du clavier, semblant s'amuser de ses difficultés comme s'il faisait simplement ses gammes. Son jeu est fin, souple et véloce, et l'articulation se révèle nette et précise. La sonorité est éclatante et la sûreté digitale d’un jeu jamais forcé est très impressionnante. Trpčeski ne fait pas que parcourir le clavier à toute vitesse, mais se montre encore rêveur et poète dans quelques magnifiques passages des deuxième et troisième mouvements, signant là une grande prestation, aussi brillante que sensible. L'orchestre offre un accompagnement caustique et coloré, un peu trop démonstratif par moments, et mis à la peine de temps à autres par la vélocité du pianiste.
Paul Manndonne ensuite la Symphonie en sol mineur Op.103 n°11 de Dmitri Chostakovitch, sous-titrée « L'année 1905 ». Cette œuvre fut commandée par le régime soviétique pour la commémoration du quarantième anniversaire de la Révolution de 1917. Chostakovitch s'inspire des événements du 9 janvier 1905 qui virent les troupes tsaristes tirer sur la foule à Saint-Pétersbourg, considérés comme le prélude sanglant d'Octobre.
De cette œuvre aux vastes dimensions, Paul Mann donne une interprétation spectaculaire, misant beaucoup sur le brio orchestral et retrouvant peut-être le caractère cérémonieux et officiel qu'en espéraient les commanditaires. Il construit bien sa lecture en menant lentement le long premier mouvement. Le chef est patient et précis, on voit la foule se masser sur la Place du Palais, tout est prêt pour le massacre que décrit le deuxième mouvement, intitulé Le 9 janvier. Très à l'aise, l’Étatsunien entre à fond dans le drame et n'hésite pas à déchaîner les fracas orchestraux les plus violents, tout en gardant à l'ensemble clarté et lisibilité. Ayant réalisé un sans-faute sur les deux premiers épisodes, il déçoit un peu dans le suivant, Mémoire éternelle, assez froid et désincarné, manquant de vécu et de douleur. Le tocsin (mouvement final) est énergique et tonitruant, mais manque de démesure et de violence ; il semble trop encadré, policé, malgré des percussions écrasantes. Très applaudi, Paul Mann est un bon chef qui n'a pas encore la carrure et le souffle pour animer chaque instant de cette symphonie. On ne peut s'empêcher de penser qu'un mois plus tôt, c'est Dmitri Kitaïenko qui dirigeait l'ONL [lire notre chronique du 3 mai 2007] ; il est probable qu'avec cette œuvre il aurait porté le concert à des sommets encore plus élevés.
Confronté à une partition longue et difficile, loin de se désunir l’Orchestre national de Lille impressionne par la cohésion et la puissance. Les vents (dont en particulier un magistral Philippe Gérard au cor anglais) comme les percussions sont très à l'honneur, de même que des cors fort inspirés. On regrette des cuivres un peu moins constants, ainsi que la sonorité des cordes, qui jouent magnifiquement, avec engagement et justesse, mais n'atteint pas au vrai son russe, plus âcre et plus strident. L'orchestre réalise néanmoins une prestation de haute volée qui, couplée avec le Prokofiev, donne l’un des meilleurs concerts de la saison « nordiste ».
RL