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Chroniques
Quartett | Quatuor
opéra de Luca Francesconi
Cette année, le printemps célèbre Luca Francesconi. Outre la création de Trompe-la-mort à l'Opéra national de Paris (à partir du 16 mars), son premier opus lyrique, Quartett, également commandé par Stéphane Lissner alors qu'il dirigeait La Scala, s'affiche à Rouen en avril, quelques semaines après la reprise à Barcelone de la production milanaise confiée à Àlex Ollé de La Fura dels Baus.
Pour ses premières armes dans le registre opératique, le compositeur italien n'a pas cédé à la tentation de la pléthore et s'est concentré sur un huis clos adapté de la pièce homonyme d’Heiner Müller, elle-même condensant Les liaisons dangereuses, le roman de Choderlos de Laclos. L'ouvrage oppose le Vicomte de Valmont à la Marquise de Merteuil, tandis que les personnages secondaires, telles l'innocente Sophie de Volanges ou la Présidente de Tourvel, sont évoqués au travers des deux protagonistes auteurs des lettres et de l'informatique musicale confiée à l'IRCAM, jouant de troublants et remarquables effets de dédoublement identitaire qui se répercutent dans la facture orchestrale – même si, pour des raisons économiques, l'enregistrement de la phalange miroir utilisée en coulisses à Milan a été intégré au dispositif électroacoustique.
La dextérité technologique participe à une conception poétique fusionnant l'exploration acoustique et une sensualité sonore que la virtuosité vocale ne démentira point, le tout soutenu par une admirable architecture dramatique, qui alterne scènes et interludes avec une fluidité intelligemment soulignée par le travail scénographique d'Alfons Flores. Habillé par les projections vidéographiques de Franc Aleu, poétiques et nébuleuses à la manière de raccords elliptiques entre les confrontations vocales, le plateau isole la chambre épistolaire suspendue dans l'espace théâtral, en un vertige de libertinage, de sentiments et de perdition, rehaussé par les lumières de Marco Filibeck. Les costumes de Lluc Castells n'éprouvent aucun besoin de quelque inscription temporelle : à la fois complexe et épuré, ce qu'on pourrait qualifier d'abstract visuel et sonore condense l'essence de la tension psychologique avec une maîtrise qui justifie sans cesse la polyphonie de moyens déployés.
Les deux solistes assument pleinement l'exigence de l'écriture.
Si Robin Adams [lire notre chronique du 15 avril 2005] résume le vacillement de Valmont, c'est d'abord la stupéfiante performance d'Allison Cook en Merteuil que l'on retiendra, passant d'une hallucination à l'autre au gré de pyrotechnies autant musicales que psychiques – ces deux artistes habitaient de leurs incarnations la version de concert de l’œuvre donnée à Paris il y a quelques années [lire notre chronique du 19 mars 2013]. Indéniablement, sa performance irradie, à juste titre, une soirée également portée par la direction calibrée de Peter Rundel, qui n'omet jamais une fascinante dimension évocatrice trop rarement associée à la création contemporaine, dont ce Quartett constitue d'ores et déjà un jalon incontournable.
GC