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...quasi una fantasia...
Susanna Mälkki dirige l’Ensemble Intercontemporain
C’est un programme d’une remarquable densité que présente l’Ensemble Intercontemporain, lors d’une soirée qui ne sera pas « de création », et qui a donc le mérite de faire réentendre des œuvres anciennes mais encore rares, tel Etymo composé il y a douze ans par Luca Francesconi et que la formation avait alors créé à l’Ircam avec Luisa Castellani et Pascal Rophé. Conçu à partir de fragments des Carnets intimes de Baudelaire et d’une phrase en particulier, dont l’auteur a très précisément analysée les « moindres inflexions vocales, les structures vocaliques et consonantiques, les durées, les intonations, les harmonies, les pauses » (cf. Peter Szendy), et qu’il fit lire à son interprète en se lançant dans un travail de plusieurs semaines sur la voix. Écrites pour soprano, une douzaine d’instruments et dispositif électronique, les vingt-cinq minutes d’Etymo s’ouvrent dans un halo lointain où peu à peu la pièce se façonne. Barbara Hannigan [lire notre chronique du 22 novembre 2005] énonce avec précision quelques phrases choisies dans les Carnets, soprano spatialisé qui se fond dans la texture générale, extrêmement travaillée, d’une œuvre traversée par une grande énergie.
Cette plongée dans le répertoire commence par une exécution stimulante de la Serenade Op.24 d’Arnold Schönberg. Au pupitre, Susanna Mälkki prend soin de peindre chaque mouvement tout en dessinant l’ensemble d’un trait ferme. À une Marsch qu’un lent crescendo parfaitement géré transforme peu à peu en danse irrésistible, rappelant en cela un procédé mahlérien, succèdent un Menuett détourné vers un ironique engluement, des Variationen acérées où se détache la mandoline continuiste, l’urgent Sonett (Pétrarque) donné par Ronan Nédélec, une Tanzscene gracieuse où la clarinette s’affirme tendre et dont le climat ne saurait mentir sur son époque (l’on pense plus d’une fois à Wozzeck que Berg composa dans ces mêmes années), un Lied (ohne Worte) expressionniste à souhait et un Finale qui lorgnant paisiblement vers le premier mouvement.
Enfin, …quasi una fantasia…Op.27 occupe le début de la seconde partie.
Dans cette pièce de 1988, György Kurtág « distribue »les instruments dans la salle : deux groupes siègent au balcon (vents à gauche, cordes à droite), quatre musiciens isolés (harmonica) sont placés aux quatre coins du parterre, tandis que six percussionnistes (dont le cymbalum et les claviers) et la harpe sont égaillés sur le plateau, autour du piano soliste. Référence oblige, c’est le piano (Dimitri Vassilakis) qui débute, égrainant posément une hésitante phrase descendante où le rejoint bientôt un halo de gong. Cette Introduzione est immédiatement suivie d’un Presto inquiet et d’un Recitativo énergique et puissant, tandis que l’Aria, imaginée à partir du cinquième des Microludes pour quatuor à cordes, absorbe l’écoute dans les alliages insolites de flûte à bec et d’harmonica dont Péter Eötvös (qui créa l’œuvre à Berlin) s’est souvenu pour la dernière scène de ses Trois sœurs.
BB