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Chroniques
Quatre instants de Kaija Saariaho
création française de la version orchestrale
Quelle chance que de pouvoir prolonger l’immersion de ce week-end [lire nos chroniques du festival Aspects des musiques d’aujourd’hui, rubriques concert et da camera] dans l’œuvre de Kaija Saariaho par la création française de la version orchestrée de ses Quatre instants pour soprano ! Créé il y a huit ans dans la version avec piano, le cycle imaginé par la compositrice finlandaise, sur les textes d’Amin Maalouf, son fidèle librettiste, pour sa compatriote Karita Mattila, a bien vite parcouru les salles avec sa dédicataire qui l’intégra à nombre de ses récitals. Le sujet ? L’expression particulière de quatre femmes amoureuses. « J'ai écrit pour Karita des miniatures capables de contenir toute la force et toute la sensibilité que j'entends dans son chant », précise l’auteure. De fait, sensiblement servie par une diction du français qui a nettement progressé, l’intelligence du texte rencontre la grande puissance évocatrice des incarnations de Karita Mattila, dotée d’un legato opulent. Ainsi Attente, à la trame orchestrale exquisément travaillée où l’on reconnaît le goût de Saariaho pour la flûte, saisit-il immédiatement l’écoute. Puis survient Douleur dont puissant s’affirme l’impact dramatique, sur une énigmatique pédale de cordes. La souplesse de la voix et l’incroyable engagement expressif du soprano bouleversent. La chaleur du timbre projette un éclairage plus nuancé sur Parfum de l’instant dont les errances instrumentales dans une moire complexe prolonge le souvenir de Debussy dans la profondeur d’un Szymanowski. L’écriture se fait plus sensuelle encore avec Résonnances, sorte d’élégie qui conclut ces instants. Existe-t-il aujourd’hui autre diva au monde à défendre ainsi la musique d’un compositeur vivant, au récital, au concert comme à l’opéra – avec Émilie à Lyon, l’an dernier [lire notre chronique du 7 mars 2010] ?
À la tête du Rotterdam Philharmonisch Orkest, Jukka-Pekka Saraste assurait avec grand soin cette première française, une première qui s’intercalait entre la Suite de danses de Béla Bartók et deux opus de Jean Sibelius. Avec le Hongrois, on reconnut à la formation hollandaise une saine égalité pupitrale, le chef profitant des timbres dès le Moderato d’ouverture, tout en ciselant précisément la masse. Pourtant, l’inflexion assez lourde choisie pour les cordes et une relative lenteur n’ont pas convaincu. De même dans la deuxième danse à la tonicité un peu brutale, à la cinquième, Comodo, à la couleur trop cuite, et pour l’épaisseur de ton du Finale. Demeurent la ferme énergie de l’Allegro vivace (troisième danse) et l’onctuosité des cordes du Molto tranquillo (quatrième).
Retrouvailles avec Karita Mattila après l’entracte, grâce au poème symphonique chanté de Jean Sibelius, Luonnotar (1913), s’inspirant (une nouvelle fois) d’un épisode du Kalevala. La ligne vocale incantatoire s’impose sur la savante réserve de cordes feutrées, déployant bientôt une phrase a cappella à l’impact indicible. Le soprano se joue adroitement du redoutable passage en demi-tons de sa partie. Le chant, remarquablement nuancé, épouse idéalement l’expressivité maîtrisée de l’orchestre, jusqu’au retour du battement initial, lent, comme bientôt inerte, dans une gravité douloureuse.
Deux ans plus tôt était créée la Symphonie en la mineur Op.63 n°4 de Sibelius. Jukka-Pekka Saraste en livre ce soir une interprétation parfaitement contrastée. Au vrombissement initial du premier mouvement, il donne une profondeur indescriptible, convoquant ensuite le solo de violoncelle comme les appels de cuivres en regard de l’épaisseur des cordes. L’interprétation s’affirme ferme et souple, y compris dans les accents parfois wagnériens. Il ménage une lumière neuve à l’Allegro molto vivace dont, toutefois, il garde jalousement les secrets. La nudité de ton du Largo étonne, avec des traits solistiques subtilement réalisés, un choral de cuivre irréprochable, et une gourmande véhémence des cordes. Si l’influence de Bruckner s’y fait naturellement sentir, celle exercée plus tard sur un Chostakovitch mérite d’être soulignée. Saraste entretient une tension médusante tout en sculptant fidèlement les plans et les échanges, sans en trop appuyer l’emphase. Malencontreusement, l’Allegro conclusif ne bénéficie pas de la même finesse d’exécution, et les cordes s’y révèlent assez approximatives.
BB