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Chroniques
quatre premières françaises
par Ictus et Klangforum Wien
En deux soirées, sur six œuvres en voici quatre que le public français put découvrir à domicile : ainsi la vitalité du festival strasbourgeois ne se dément-elle pas, plongeant chaque jour l’écoute dans l’inconnu. Il invitait deux ensembles dont l’autorité n’est plus à prouver : les excellents Klangforum venu d’Autriche et Ictus de Belgique.
Ictus, dirigé par Georges-Elie Octors, fit entendre mardi la nouvelle version, achevée cette année, du Concerto pour un piano-espace n°2 de Michael Levinas. En 1977, le compositeur livrait à la fois une Étude sur un piano-espace et ce concerto, retravaillé trois ans plus tard pour la création qu’en ferait L’Itinéraire. Ladite étude devait faire partie du concerto, mais, s’en explique l’auteur, « le niveau de l’électro-acoustique de l’époque rendait impossible une réalisation véritable. Il faudra non seulement les moyens digitaux, mais aussi les recherches que j’ai poursuivies dans le domaines de la polyphonie et des superpositions de tempéraments inégaux et des différents diapasons […] pour que je puisse élaborer l’écriture et le timbre du piano-espace et intégrer enfin […] la cadence ».
De fait, immédiatement l’oreille est ici transportée vers les années quatre-vingt, parcourues qu’elles étaient de ces sonorités particulières, goûtées alors à certains festivals : comme quoi l’auditeur, quand bien même serait-il de musique contemporaine, pour parler court, n’est jamais à l’abri de quelques nostalgie – eh oui, c’est presque en culottes courtes que ce chroniqueur qui vous parle aujourd’hui allait entendre les œuvres des jeunes d’alors… L’exploration des hauteurs mêlées mais aussi des impuretés dues à l’amplification véhicule une couleur reconnaissable entre toutes, désormais : celles d’un second spectralisme, avançant peu à peu vers les préoccupations quant à la nature du son, volontiers saturé, de nombre de musiciens qui ont à présent l’âge qu’avait Levinas à ce moment-là (ces rapprochements ne s’appliquent pas à la grammaire). Dans un énigmatique halo, le piano-espace – tenu par Jean-Luc Plouvier –, tour à tour sa propre ombre décuplée sur l’eau, cymbalum fondant au soleil ou pianoforte venu d’autres temps, ouvre l’exécution par une cadence virtuose où l’ensemble instrumental fait son entrée par le rire d’une trompette.
Un trio de vents introduisait la soirée dans un mariage de timbres riche autant qu’étonnant : en 2005, Yann Robin a conçut pour cor anglais, trombone et clarinette contrebasse ses Chants contre champs à l’énergie curieusement disponible, en quelque sorte, après une entrée en matière rigoureusement ludique. À la tendresse du trombone s’oppose la robuste clarinette contrebasse, tandis que surnage, dans ses méandres obsessionnels, le cor anglais comme isolé. L’œuvre s’éloigne par un écho de bourdon.
En ouverture du concert du lendemain, Giano, repainted : disposé en miroir, l’effectif convoqué par Aureliano Cattaneo dans cette œuvre de 2009-2010 déploie de chaque côté de deux pianos centraux un violoncelle, une clarinette, une flûte, un violon. « Lorsque l’on prend une photo, précise le compositeur italien, qu’on la copie et qu’on la repeint, une fois, deux fois, dix fois et plus encore, on perd quelque chose à chaque reproduction […]. Il ne reste plus qu’une carcasse… Et c’est un changement regrettable : nous n’ajoutons pas, nous enlevons ». À ceux qui, lisant ces lignes dans la brochure éditée par Musica (à laquelle nous empruntions déjà les propos tenus pas Michael Levinas), se seraient attendus au simple jeu de miroir que laisse présumer le dispositif, la surprise de goûter des échanges plus ou moins altérés comme celle d’appréhender les pianos différemment accordés – à peine, certes, mais différemment tout de même – ne fut pas des moindres. Toutefois, aussi subtile qu’en soit la trame et précise l’interprétation, la partition bientôt s’épuise dans un jeu d’esprit un rien verbeux qui lasse.
C’est résolument la première partie du XXe siècle que regardaient les deux opus confiés en fin de programme aux bons soins des musiciens de Klangforum, placés sous la direction de Peter Hirsch. De façon avouée, pour finir, par Bernhard Lang dans sa Monadologie VII « …for Arnold », écrite l’an dernier, qui se penche activement sur la Kammersinfonie Op.38 n°2 d’Arnold Schönberg, une œuvre de 1906 qui trouverait sa version définitive en 1939. Dès l’abord, l’univers du Viennois envahit l’auditorium, avec cette particulière épaisseur des timbres que Lang renchérit encore, malgré un geste musical d’un minimalisme personnel qui ne dédaigne pas un certain maniérisme. Le ressassement de la référence et sa distorsion ne prenant cependant jamais de la hauteur, cette longue page demeure rivée au clou qu’obstinément elle enfonce, bien qu’usant de procédés par ailleurs efficaces. Dans une semi-filiation souverainement désabusée, juste avant, par Georges Aperghis dans See-Saw parfumé d’un sérialisme évident que ne contredit pas la savante écrevisse conclusive – irrésistible.
BB