Chroniques

par bruno serrou

quatre-vingt-cinq ans de Pierre Boulez

Cité de la musique, Paris
- 12 mars 2010
© dr

Aucune manifestation officielle en France pour célébrer les quatre-vingt-cinq printemps de la figure de proue de la musique française dans le monde qu’est Pierre Boulez. Il faut dire que l’intéressé s’y refuse, considérant que, l’âge venant, il n’est pas question que l’on fête chaque année son anniversaire en grande pompe [on lira, cependant, nos chroniques des concerts donnés à Berlin à l’occasion des quatre-vingt ans du maître, le 25 mars 2005 et le 27 mars au matin à la Philharmonie et à la Deutsche Staatsoper l’après-midi]. Il y eut néanmoins une petite cérémonie amicale à l’issue du concert qu’il dirigeait ce soir à la Cité de la Musique, à la tête de l’Ensemble Intercontemporain et des BBC Singers. Au maître le lieu et la formation offraient un autographe de son poète favori : René Char.

C’est avec les BBC Singers, avec qui il a notamment enregistré l’intégrale de l’œuvre chorale de Schönberg chez Sony, que Boulez ouvrit le programme. Les Quatre Pièces Op.27 de Schönberg sont bien plus qu’une mise en bouche. La partition écrite en 1925, sur des textes du compositeur et de Bethge d’après des poèmes chinois, est conçue pour chœur mixte avec accompagnement de mandoline – hommage à Mahler –, clarinette, violon et violoncelle. Ce chef-d’œuvre est d’une difficulté polyphonique extrême. L’ensemble britannique est riche en timbres et son homogénéité (un modèle du genre) sans équivalent en France ; l’on comprend aisément ce qui pousse Boulez à maintenir des relations privilégiées avec lui.

Dérive 2pour onze instruments (1988-2006), dédié à Elliott Carter pour ses quatre-vingt ans, est une œuvre de Boulez qui, malgré son statut de work in progress longuement maintenu, a le souffle ample (vingt-deux minutes) aux rythmes et cellule thématique serrés et toujours renouvelés. Mais c’est le sublime Cummings ist der Dichter pour seize voix solistes et ensemble qui aura été le moment-clef de cette soirée. Il s’agit, en effet, de l’un des plus puissants chefs-d’œuvre de la seconde moitié du XXe siècle. Composé en 1970, révisé en 1986, il est l’unique partition de Boulez fondée sur un texte anglais, le choix des poèmes étant en interaction avec l’univers de John Cage qui lui avait présenté Cummings. Elle comprend, dans sa première version, d’infimes éléments aléatoires, avec des passages où le chef détermine l’ordre des événements en cours d’exécution. L’écoute de cette page demeure fascinante, particulièrement les alliages de timbres et la résonance du matériau, faisant de Boulez le seul authentique héritier de Debussy.

Pour conclure son concert, Boulez a choisi l’une des partitions avec lesquelles il imposait en France le Britannique Harrison Birtwistle : ...agm... pour chœur mixte et vingt-huit instrumentistes. Composée en 1979, cette pièce fut enregistrée dès 1980 par le chef et l’Intercontemporain. C’est dire combien la soirée se voulait le reflet des fidélités bouléziennes, avec l’hommage à l’un de ses grands maîtres, Schönberg, et l’une des premières partitions contemporaines qu’il a inscrites au répertoire de l’ensemble fondé par lui en 1976, et qui garde aujourd’hui encore sa fraîcheur originelle.

BS