Chroniques

par françois-xavier ajavon

Quatuor Alma
œuvres de Debussy, Mozart, et Webern

Festival Jeunes Talents / Archives nationales, Paris
- 17 juillet 2004
le jeune Quatuor Alma joue Debussy, Mozart et Webern
© jeunes-talents

Le quatrième Festival Jeunes Talents, parrainé par Henri Dutilleux, a choisi d'organiser sa programmation 2004 autour du thème Musique et Imaginaire. Chacun des concerts présentés propose un intéressant voyage musical à travers des univers apparemment variés mais toujours subtilement connectés. Bénéficiant du cadre remarquable de l'Hôtel de Rohan, au cœur du quartier du Marais – actuellement occupé par les Archives nationales mais qui jadis résonna de la musique de Marc-Antoine Charpentier, compositeur en résidence pour Mademoiselle de Guise au XVIIe siècle –, la manifestation articule chaque concert en trois temps : les répétitions gratuites en début d'après-midi, une mini-conférence avant le concert, enfin le concert du soir dans la cour (à prix tout doux).

Pour la deuxième soirée de ce festival pourtant estival, la situation climatique incertaine, entre pluie et orage, oblige les organisateurs à renoncer à la cour pour deux salles qui, malgré la somptuosité de leur décoration, n'offrent pas les meilleures conditions d'acoustique et de visibilité. Voilà qui ne rend pas toujours justice à la beauté parfois tranchante de la sonorité du Quatuor Alma.

Depuis 2002, le Quatuor Alma est en cycle de perfectionnement au CNSM de Paris. Il s'inscrit dans le sillage du Quatuor Ysaÿe pour avoir notamment suivi sa classe au CNR de Paris à partir de 2000. Ann-Estelle Médouze, Maud Rouchaléou (violons), Claudine Christophe (alto), et Maya Blumenfeld (violoncelle) forment un quatuor féminin plein de cohésion et de dynamisme, placé sous le patronage symbolique et patronymique d’Alma Mahler, femme du précurseur viennois de la « musique nouvelle », compositeure elle-même et muse de Klimt comme de Zemlinsky.

Le voyage imaginaire de ce concert nous mène donc dans l'histoire du quatuor à cordes, de Vienne à Paris et du XVIIIe siècle au début du XXe. Premier arrêt : Vienne, avec le Quatuor en ré mineur K.421 n°15 de Mozart, œuvre de maturité précoce, incluse dans un cycle de six quatuors dédiés à Joseph Haydn qui le créa lui-même au violon en présence du compositeur. Faisant du genre une vraie conversation entre quatre partenaires, Mozart livrait une page remplie de mélodies à la fois touchantes de fausse légèreté, désespérées, notamment au détour de l'Andante où l'on pourrait parfaitement lire une certaine nostalgie de la rupture (contemporaine) de Mozart avec Salzbourg, mais également remplie de thèmes joyeux, comme le final Allegretto ma non troppo écrit le jour de la naissance de son premier fils (1783). Les quartettistes en donne une interprétation subtile et dense qui souligne la maturité du compositeur. Elles offrent un moment rare de proximité avec un Wolfgang Amadeus presque contemporain, direct, simple, qui parlerait déjà le langage musical de notre modernité et touche au cœur sans fioritures. Après un premier mouvement un peu « coincé », les musiciennes se libèrent progressivement et offrent toute la cohésion nécessaire au dialogue instrumental.

Deuxième arrêt : Vienne 1913, avec les brèves Six Bagatelles Op.9 d’Anton von Webern. Le Quatuor Alma se trouve dans son élément naturel, épais de toutes les métamorphoses esthétiques du début du siècle dernier et du sentiment d'oppression et de décadence qui précédait le premier conflit mondial. Il rend parfaitement justice à la subtilité absolue de ces miniatures atonales (mais pas encore dodécaphoniques), et démontre que cette musique libre, minimaliste, en voie de déstructuration mais pas de rupture, peut toucher au cœur comme aux nerfs.

Terminus : Paris, fin 1893. Le Quatuor de Claude Debussy reçut étrangement l'opus 10, seul numéro « épinglé » dans toute l’œuvre du Français. On lui associe trop souvent le quatuor de Ravel sous la commode catégorie Impressionnisme musical qui laisse à tort penser une continuité esthétique entre peinture et musique. Avec toute son intelligence et le tranchant de la jeunesse, le Quatuor Alma « rationalise » le fameux brouillarddont on taxe traditionnellement cette œuvre, et affirme ainsi que l'esthétique debussyste, plutôt que de se réduit pas à une brume imprécise à la Cézanne, implique une compréhension totale, dans la globalité comme dans le détail, et un rendu clair et précis. C'est l'option du Quatuor Alma qui transcende les clichés interprétatifs de ce chef-d'œuvre afin d’en donner une image originale autant que dynamique.

Avec de telles compagnes de voyage, le parcours Vienne-Paris ne pouvait être que réussi ! Souhaitons bonne chance à ce jeune quatuor féminin plein de charme pour sa participation à la huitième Banff International String Quartet Competition au début du mois de septembre (Canada).

FXA