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Chroniques
Quatuor Ardeo
création du Quatuor n°3 de François Meïmoun
Rangez les matelas, dit-elle.
Non, ce n’est pas le titre d’un Duras inédit, retrouvé entre une caisse de Saussignac et un flacon de Pécharmant, mais le commentaire exaspéré, répété d’une voix monocorde par une spectatrice obstinément autoritaire, lors de l’annonce de l’ouvreur invitant le public à éteindre son téléphone mobile avant le concert. C’est que le Quatuor Ardeo aura à s’installer devant le décor de Mimi, piano décati et statue de Madone compris [lire notre chronique du 19 novembre 2014]. Pourtant, il y a là un je-ne-sais-quoi qui n’est pas déplaisant dans son négligé (avis que ne semble pas partager ladite dame), une aura désolée sourdant d’une alcôve de ténèbres urbaines.
Dans le cadre de La belle saison-Concerts halls du Théâtre des Bouffes du nord, nous retrouvons les violonistes Carole Petitdemange et Mi-Sa Yang, Noriko Inoué à l’alto et la violoncelliste Joëlle Martinez, c’est-à-dire le Quatuor Ardeo que toujours nous avons plaisir à entendre [lire notre chronique du 16 octobre 2010 et notre critique du CD Koechlin, salué d’une Anaclase!]. C’est à Paris en février 1832 que fut joué pour la première fois le Quatuor en la mineur Op.13 de Felix Mendelssohn. Ardeo en aborde l’introït Adagio de l’Allegro vivace dans une diaphanéité un rien livide, le mouvement lui-même s’élevant dans une clarté plus franche. Nerveuse, la tonicité de l’articulation sonne un peu rêche, hantée d’une mélancolie aphasique qui situe l’interprétation dans l’anémie du déprimé plutôt que dans la révolution intérieure – n’est-ce pas aussi cela, le romantisme ? Après un Adagio non lento à l’expressivité heurtée, pour ne pas dire ingrate, l’Intermezzo satisfait plus : l’inflexion aimable de sa chanson dansée est traversée d’un sourire cireux, moins simple que d’attendu. Toutefois, nos quartettistes n’enchanteront pas l’oreille, ce soir, avec une curieuse aigreur de la sonorité générale et un fugato qui gratouille en hors-piste. On les connaît en meilleure forme, indéniablement, ce que confirme l’ultime épisode de cette page.
Toujours le Quatuor Ardeo s’est plu à servir la musique de son temps, qu’elle soit de Laurent Cuniot [lire notre chronique du 23 mars 2013] ou de Kaija Saariaho [lire notre chronique du 9 avril 2011], par exemple. François Meïmoun (né en 1979) écrivit en 2010 son Quatuor n°1, créé au printemps 2012 par le Quatuor Benaïm à l’Abbaye de la Prée ; depuis, ses neuf minutes tendue d’un post-sérialisme hérité de Darmstadt furent souvent jouées par Ardeo [voir vidéo]. En 2013, le Festival d’Aix-en-Provence créait le Quatuor à cordes n°2 « selon Pollock », dans le même temps où le compositeur se passionnait pour Antonin Artaud qui habitera plusieurs de ses œuvres (Tara, Mômo, La danse du Peyotl et Quatuor à cordes n°4). Découvrons aujourd’hui, en première mondiale, son Quatuor n°3 qui s’est cherché du côté de Maurice Ravel : « [il] a lui-même dialogué avec l’héritage des clavecinistes français ou celui de Liszt. Et ce regard rétrospectif […] est à l’origine de quelques-unes de ses compositions les plus originales. Il est naïf de considérer qu’une œuvre qui regarde en arrière serait empêtrée de nostalgie », précise-t-il (brochure de salle). La seconde partie de la soirée est consacrée à la transcription pour quatuor à cordes des Goldberg Variationen BWV 988 de Johann Sebastian Bach par Meïmoun, un travail assez brillamment écrit qui pourtant ne porte guère ses fruits dans l’inévitable étirement que la bavochure de colophane impose à l’inimitable vivacité du clavier.
BB