Chroniques

par laurent bergnach

Quatuor Arditti
œuvres de Bertrand, Haas, Paredes et Reynolds

Biennale de quatuors à cordes / Cité de la musique, Paris
- 24 janvier 2014
trois créations françaises par le Quatuor Arditti
© br musica viva

Seize concerts composent cette sixième Biennale de quatuors à cordes qui, comme les éditions précédentes, fait cohabiter plusieurs générations de musiciens – du Quatuor Borodine, fondé en 1944, au Quatuor Béla qui n’a pas dix ans [lire notre chronique du 18 janvier 2014] – pour défendre la musique des aînés comme celle des inventeurs de notre temps : Crumb, Dusapin, Manoury, Mantovani, Schneller, Stroppa et Widmann. Prélude au programme imposant du Quatuor Ysaÿe qui mettra cette année un terme à trente ans de carrière (avec Beethoven, Debussy, Fauré, Schönberg et Mozart – qui aura été joué treize fois en neuf jours de festival !), le Quatuor Arditti offre au public français trois œuvres créées par lui, à travers l’Europe, entre 2007 et 2010.

Le Quatuor à cordes n°5 (2007) de l’Autrichien Georg Friedrich Haas (né en 1953) [photo] « trouve son point de départ dans la tentative de combiner des événements isolés de manière si dense qu’ils se fondent en une totalité unifiée où se dissout la contribution de chaque instrument ». Éloignés les uns des autres en un demi-cercle plus large que d’ordinaire – « on ne se supporte plus… » déclare Irvine Arditti avec humour –, les deux violons alternant avec le violoncelle et l’alto livrent une vingtaine de minutes ensorcelantes. À l’instar des fragments délicats qui l’inaugurent (pluie de pizz’, glissandos d’harmoniques), la pièce se caractérise par de fréquentes notes tendues données sur un rythme paisible et par l’absence quasi-totale d’affirmation personnelle – remplacée par une volonté d’imiter celui qui montrera une piste intéressante à suivre en groupe. C’est ainsi que sont approfondies des sonorités variées (caquetage, sirène, grincement, bourdonnement et même un ersatz de didgeridoo par le duo alto-violoncelle). Le final virevolte, à l’image d’un parcours somme toute radieux.

Donné durant le festival rhénan Wittener Tage für neue Kammermusik, not forgotten (2010) souhaite ne pas oublier – comme son nom l’indique – certaines régions et musiques (The Dorian Horizon de Takemitsu, Troisième Quatuor de Carter, Tetras de Xenakis) qui marquèrent l’Américain Roger Reynolds (né en 1934), ancien élève de Roberto Gerhard à l'université du Michigan. Six mouvements constituent l’œuvre ouverte par le gémissant Giverny et refermée par Now qui passe en revue les éléments précédents. Entre les deux, l’ordre des mouvements est laissé au choix des interprètes qui peuvent, comme ce soir, proposer Ryoanji induisant l’utilisation du bois de l’instrument, l’agité Toru, un Elliott entre plainte et recueillement puis Iannis qui ne manque pas de virtuosité. Cependant, la pièce ennuie vite par ses climats assez répétitifs, à l’opposé des contrastes attendus.

Il y a quelques années, sous les doigts des Arditti, nous entendions l’intimiste Tres Canciones lunáticas de la Londonienne d’adoption Hilda Paredes (née en 1957) [lire notre chronique du 18 novembre 2011]. Un an auparavant, au Festival Traiettorie (Parme), elle revenait à ses interprètes privilégiés et leur dédiait son Quatuor à cordes n°2 « Cuerdas del destino » (2008). Des glissandos agités mêlés de pizz’ encadrent plus d’un quart d’heure de musique entre jubilation et âpreté, avec l’idée que la « conséquence est le principe à partir duquel se développent tous les matériaux et qui crée la direction, la dramaturgie et la structure de la pièce ». Les événements présents (notes crispées, rebonds d’archet, cliquetis, etc.) donnent à ces Chaines du destin l’image de bulles dissipées crevant sans mollir la surface d’un marais flegmatique.

Le 25 septembre dernier, le festival Musica n’avait pu faire jouer l’œuvre pour percussions commandée à Luis Fernando Rizo-Salom, décédé quelques semaines plus tôt à l’âge de quarante-deux ans. Christophe Bertrand (1981-2010) nous a quittés plus jeune encore, et le Quatuor à cordes n°2, créé à Strasbourg le 24 septembre 2011, est sa dernière œuvre achevée. Quelques jours après l’hommage que lui rendaient les ensembles In Extremis et Court-circuit [lire notre chronique du 20 janvier 2014], nous retrouvons l’énergie sinon la violence souvent présente chez le jeune créateur, et ici même à travers bourdonnements sinueux et enflés, pizz’ mafflus ou cacophoniques, fulgurances presque aboyées, unissons querelleurs comme un duel au sabre et autres coassements fiévreux. On aime !

LB