Chroniques

par bertrand bolognesi

Quatuor Artemis, nouvelle version
œuvres de Beethoven et Schubert

Septembre musical de Montreux / Salle del Castillo, Vevey
- 3 septembre 2007
Beethoven et Schubert par le Quatuor Artemis au Septembre musical de Montreux
© yunus durukan

Chacun sait qu’il n’est jamais simple, pour un quatuor à cordes, de remplacer un musicien. Ces dernières semaines, c’est à deux défections que l’excellent Artemis dut faire front. Si l’altiste Volker Jacobsen a choisi de quitter la formation pour des raisons personnelles, une cruelle dystonie de fonction en décida pour le violoniste Heime Müller – un programme de rééducation élaboré à partir de l’étude approfondie de la posture permet aujourd’hui de soigner en quelques années ces problèmes, ce qui n’était pas le cas à l’époque de Schumann qui, à vingt-deux ans, dut renoncer à ses espoirs de mener une carrière pianistique. Voilà un petit mois que les Artemis se produisent dans une nouvelle configuration qui intègre désormais l’altiste Friedemann Weigle et le violoniste Gregor Sigl.

On est immédiatement happé par la grande clarté avec laquelle les quartettistes abordent l’Allegro du Quatuor en la majeur Op.18 n°5 de Beethoven. Le trait n’est jamais forcé, l’articulation s’avère d’une élégance absolue. L’on goûte particulièrement la sonorité délicate, subtilement feutrée, du violoncelle d’Eckart Runge, laissant chanter Natalia Prishepenko (premier violon). Notons un Menuet plein d’esprit, légèrement épicé par l’alto (dans la stricte observance des proportions classiques, bien sûr), les sourires discrets qui inscrivent la danse centrale dans les Lumières. La retenue joueuse évoluant dans l’Andante cantabile est simplement délicieuse, agrémentée de cordiales variations, jusqu’à l’humour franchement affirmé. Des contrastes plus accusés, qui ne dédaignent pas d’à peine froncer les sourcils, mènent l’effervescence de l’Allegro conclusif jusqu’à sa curieuse interrogation finale. Par une grâce pudique (dans une dangereuse économie d’effets – c’est le plus difficile !), cette interprétation ravit l’écoute qu’elle transporte loin de la salle.

C’est une tempête intérieure, savamment secrète, que le Quatuor Artemis explore dans l’Allegro assai du Quartettsatz en ut mineur D703 de Schubert. Se gardant d’un lyrisme franchement livré, les musiciens cisèlent leur lecture dans une raucité troublante qui, en prenant de grands et beaux risques expressifs avec la dynamique, magnifie la volubilité de l’écriture. L’Andante s’en trouve alors plein de dangers inavoués, puis un embryon de mouvement ouvre la tête, précisément quelques secondes avant que la partition se suspende, la saisissante évidence de l’inachèvement rejoignant à sa manière la question sur laquelle Beethoven terminait tout à l’heure.

De fait, relevons la cohérence du programme, sa seconde partie se dévouant le plus logiquement qui soit au Quatuor en mi mineur Op.59 n°2 d’un Beethoven romantique dont on saisit d’autant plus facilement la modernitéen son temps. Après un Allegro échevelé qui fait nettement la moue, les Artemis alternent tendresse soutenue, véhémence tourmentée et inertie gelée dans le deuxième mouvement, interrogeant un chemin introspectif inquiet qu’ils concluent dans l’apaisement triste de la résignation plutôt que dans la sérénité. Tout en faisant tourner l’angoisse non formulée de l’élan Allegretto avec une grâce indicible, ils donnent à l’apogée du thème russe une épaisseur venant judicieusement contredire l’élégance de l’ensemble (ce qui l’en révèle d’autant). Le Presto explore enfin les couleurs amorcées auparavant – et avec quelle verve expressive !

En hommage recueilli au violoniste avec lequel Natalia Prishepenko et Eckart Runge ont passé de nombreuses années à faire de la musique, et sans doute tant à l’homme qu’au musicien, le Quatuor Artemis donne en bis la transcription d’Heime Müller d’un Lied de Webern.

BB