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Chroniques
Quatuor Aviv
intégrale Chostakovitch
En janvier dernier, Martin T:son Engstroem, directeur général du Festival de Verbier, entendit Aviv interpréter quelques uns des quatuors de Dmitri Chostakovitch. De là germa l’excellente idée d’inviter le jeune quatuor, créé il y a dix ans à peine, et de lui confier une intégrale de ce vaste corpus introspectif. Distingué par de nombreux prix (1998 : Printemps de Prague ; 1999 : Charles Hennen, Ministère allemand de l’Education, Ministère israélien de l’Education, Melbourne, etc.), la formation, pour avoir joué à plusieurs reprises plusieurs de ces pages, n’avait encore jamais eu l’opportunité d’en donner la totalité. Elle propose ici un parcours intime et éprouvant de sept concerts, étalés sur treize jours (un rendez-vous tous les deux soirs). Relever ce défi est intense dans la vie de musiciens, au delà de l’indéniable performance que cela implique. Arrivés le 27 juillet, nous appréhendions la partie médiane de cette intégrale par trois concerts.
Vendredi soir, quittant précipitamment la Salle Médran à l’issue d’un programme fleuve dans l’espoir d’arriver juste à temps pour les rendez-vous de la Chapelle, nous trouvions porte close. Pas question de la faire grincer sur le délicat Andantino du Quatuor en ré majeur Op.83 n°4. Cette page composée en 1949, mais qui ne put voir publiquement le jour qu’après la mort de Staline, quatre ans plus tard, nous l’écoutions depuis les marches situées sur le côté de la chapelle, à flan de coteaux, la musique nous parvenant par une fenêtre ouverte juste au-dessus.
De fait, entrés dans le lieu entre deux œuvres, nous observions un public religieusement attentif.Les soirs suivants, nous constations quelque chose d’émouvant dans ces réunions nocturnes. Les mêmes visages s’y reconnaissent peu à peu, de nouveaux les rejoignent, formant un auditoire toujours plus grand et remarquablement concentré. Dès leQuatuor en fa # majeur Op.142 n°14, écouté debout au fond de la Chapelle, nous savions qu’Aviv offrait là une intégrale d’une rare qualité.
Dimanche, en présence de Chostakovitch Junior et de Mme Irina Chostakovitch, les quartettistes s’engagèrent dans une interprétation sensible du Quatuor en fa mineur Op.122 n°11. Sur le fil, Sergeï Ostrovski (premier violon) cède l’Introduction au violoncelle charnu de Rachel Mercer, chantant sur les harmoniques gelées de ses partenaires. Contrastant avec le vibrato précédent, le Scherzo est fugué dans une sonorité aride qui se radicalisera dans le troublant Récitatif. Le cinquième mouvement laisse poindre la fluidité maîtresse du violon I, les instrumentistes accordant ensuite beaucoup de caractère à l’Humoresque. Dans l’Élégie, du second violon utilisé comme l’aigu d’un alto on saluera l’âpreté bienvenue choisie par Evguenia Epshtein. Enfin, le Final au début désertique du violoncelle, bientôt relayé par la mélopée de luth savamment servie par le jeu de Shuli Waterman à l’alto, livre un étrange choral conclu par un stretto contenu où se laisse admirer la riche palette expressive des quatre musiciens.
Le premier mouvement du Quatuor en ré bémol majeur Op.133 n°12 nécessite une infinie souplesse de jeu. Parfaitement au rendez-vous, cette qualité du Quatuor Aviv, mue par une écoute mutuelle toujours en éveil, un dosage minutieux de la dynamique et une judicieuse accentuation, impose la dislocation nauséeuse de la valse. De même saluera-t-on la vigueur dans laquelle s’amorce l’ostinato évolutif. Dans la partie suivante, la fatigue prend néanmoins le dessus, ce qui, à un moment ou à un autre, est inévitable dans un tel marathon.
Le Largo du célèbre Quatuor en ut mineur Op.110 n°8 bénéficie d’un beau travail en épaisseur, plus encore que du rebond des divers échanges instrumentaux. Suspendu dans cette consistance, le deuxième mouvement révèle une énergie miraculeusement renouvelée. Nos quartettistes ont repris en main leurs moyens, comme en témoigne l’aigu nourri et infaillible du violoncelle (Allegretto), dans une lecture cependant trop lisse. Les derniers pas de ce quatuor ne retrouveront d’ailleurs pas la veine expressive goûtée plus tôt.
Pour nous veille de départ, c’est avec Aviv et Chostakovitch que, mardi, nous prenions congé du festival valaisan. Au Quatuor en si bémol mineur Op.138 n°13 était à l’œuvre une conduite précieuse et infaillible de la nuance et de la couleur, au service de chaque microclimat. L’on put admirer le raffinement de la réalisation – fort belle section de pizz’ du violoncelle et d’alto col legno sur laquelle les violons vibrent à qui mieux-mieux, par exemple. Tout ici est latent, jusqu’à l’effroyable solo d’alto discrètement émouvant (Shuli Waterman), puis la lente montée d’un cri commun aux quatre archets vertement poussés.
Nous emporterons le souvenir du lyrisme généreux du second Adagio du Quatuor en mi bémol majeur Op.117 n°9, adagio vite contrarié par les méchant pizz’ de double cordes du premier violon, et du vigoureux Allegro final où se retrouve la hargne caractéristique du compositeur, ici servie par une énergie qui parut inépuisable. Souhaitons qu’Aviv visite bientôt nos salles et, peut-être un jour, enregistrent leur intégrale Chostakovitch – qui sait ?
BB