Chroniques

par nicolas munck

Quatuor Danel
Bartók, Dvořák et Smetana

Cordes en ballade / Cloître de la cascade, Bourg Saint-Andéol
- 7 juillet 2015

Alors que son édition 2014 mettait à l’honneur l’Amérique latine et ses traditions musicales multiples, le menu 2015 de Cordes en ballade s’est construit autour des musiques tziganes, klezmer et folkloriques et des nombreux transferts existants entre la vitalité de cette tradition populaire et la (les) musique(s) dite(s) savante(s). C’est ainsi que cette dix-septième édition, toujours placée sous la direction artistique et pédagogique du Quatuor Debussy, donne une large place aux opus de deux compositeurs hongrois : Béla Bartók et György Kurtág. Si les Debussy ont toujours mis un point d’honneur à donner à entendre sur le sol ardéchois les meilleures phalanges quartettistes, ainsi que de jeunes et brillantes formations en devenir (programmation Nouveaux talents), c’est pourtant la première fois que l’excellent Quatuor Danel, fondé en 1991, se produit dans le cadre du festival – le voici enfin !

Bourg-Saint-Andéol, 21h. Les effets de l’écrasante chaleur commencent tout juste à s’estomper lorsque nous rejoignons le magnifique Cloître de la cascade (Pôle national des Arts du cirque de Bourg Saint-Andéol) pour un dense programme de folklore imaginaire aux côtés de Dvořák, Bartók et Smetana. Après avoir jeté un coup d’œil périphérique à cette scène de plein air et à la configuration des bâtiments qui entourent le public, nous craignons pour la qualité de restitution du son. Cet endroit est-il parfaitement optimisé pour le quatuor à cordes ? Peut-on percevoir netteté et articulation où que l’on se trouve ? La première attaque de l’Allegro ma non troppo du Quatuor « Les cyprès » (1887/1921) d’Antonín Dvořák et les nombreuses discussions d’après-concert avec le public nous rassurent sur ce point. Au delà de la qualité évidente et de la richesse de la pâte des Danel, le lieu rend avec beaucoup de clarté et d’équilibre plans et inflexions sonores. Initialement extraits d’un recueil de mélodies pour voix d’homme et piano de 1865, les quatre mouvements donnent une place tout à fait privilégiée au premier violon et à l’alto dans une écriture utilisant régulièrement les procédés de la mélodie accompagnée. De ce quatuor, et en complément des prises de paroles et du phrasé irréprochable de Marc Danel (premier violon) et Vlad Bogdanas (alto), nous apprécions tout particulièrement, dans un son très clair qui se fait parfois quasi discographique, la limpidité de la conduite des phrases donnant beaucoup d’évidence et de simplicité au discours musical.

Composé entre 1907 et 1909 et en lien direct avec la gestation du Concerto pour violon Op.posth., le Quatuor Op.7 n°1 de Bartók témoigne de la modernité et de la maturité d’un compositeur pris entre l’expression et la tradition postromantique allemande et l’incursion d’éléments mélodiques et rythmiques tirés du folklore hongrois. Fort expressifs et contrapuntiques, les deux premiers mouvements séduisent l’oreille par une amplitude et une profondeur sonore inégalée. Néanmoins, nous nous trouvons ponctuellement gênés par la posture, en quasi lévitation, de Marc Danel et dont la caisse de résonance de l’instrument est parfois orientée de manière frontale vers le public. L’aspect visuel n’est en rien, mais ce phénomène de désolidarisation acoustique crée une forme de déséquilibre de plans sonores entre lignes solistes et figures d’accompagnement. Ébouriffant de virtuosité et redoutable dans sa mise en place, l’Allegro vivace final est conduit avec beaucoup de justesse et de brio. Relief, contrastes dynamiques, articulations parfaites et plénitude sonore sont au cœur de cette convaincante version.

Après une respiration d’une dizaine de minutes, le programme se poursuit avec le Quatuor à cordes n°1 (1876) du Tchèque Bedřich Smetana. Peu connu dans le champ de la musique de chambre, le compositeur est pourtant l’auteur de deux quatuors composés à six ans d’intervalle. Sous-titré De ma vie, le premier en mi mineur retrace, de manière presque autobiographique (impudique ?), les grandes étapes du parcours du créateur. Dans une écriture fortement marquée par la tradition romantique, l’ultime mouvement (Vivace) tend à imposer les premières orientations d’une musique nationale tchèque. D’un point de vue interprétatif, la difficulté de ce dernier épisode, faussement optimiste, réside dans le basculement entre la fièvre « nationaliste » et une déconstruction des éléments thématiques gravitant autour de la réitération d’un mi aigu. , Passionnante, la proposition des Danel construit avec beaucoup de cohérence ces différentes étapes formelles. Le quatuor s’achève dans un quasi-silence formidablement bien mené et une couleur sublime. Le public ne s’y trompe pas et réserve un accueil très chaleureux aux quatre champions du soir. Deux bis (Élégie et Polka de Dmitri Chostakovitch) viennent boucler une soirée musicale qui se prolonge autour du verre de l’amitié.

NM