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Chroniques
Quatuor Diotima
intégrale Benjamin Britten
De même qu’une intégrale de la musique de chambre d’Erich Wolfgang Korngold accompagnait les représentations maison de Die tote Stadt à l’automne dernier [lire nos chroniques des 6 et 8 octobre, du 9 octobre et du 5 novembre 2009], la reprise de Billy Budd [lire notre chronique du 24 avril 2010] s’orne de deux soirées rendant un bel hommage à Benjamin Britten. Pour l’occasion, l’excellent Quatuor Diotima ne se contente pas (ce qui déjà aurait été beaucoup) de jouer ses trois Quatuors à cordes, mais les met en situation avec des pages d’autres compositeurs qui pourront les révéler par une approche rendue ainsi plus sensible.
Se souvenant de l’importance d’une pratique instrumentale active de Britten qui volontiers se produisait au clavier avec d’illustres partenaires, parmi lesquels il put compter Mstislav Rostropovitch, Sviatoslav Richter ou Dietrich Fischer-Dieskau, des opus surgissent ici du passé. Sans doute placent-ils également le musicien britannique dans un certain héritage, celui qu’il a reçu de Bridge, son maître à partir de 1928, grand admirateur de Mozart et Schubert.
Ainsi la première soirée s’ouvre-t-elle par une interprétation d’une indicible délicatesse du Quatuor en sol majeur « Lodi » KV80 écrit par un Mozart de quatorze ans – à quelques mois près l’âge de Britten lorsque commence ses leçons avec Bridge. Après un Adagio comme en apesanteur, du bout des lèvres, les mouvements suivants affirment une jouissive effervescence dans une lumière à la grâce exubérante.
Quant à lui, le rendez-vous de mercredi est introduit par le Quatuor en ut majeur n°2 D32 de Franz Schubert, ce qui, là encore, est éclairer cette intégrale par la jeunesse – partant que rien, chez Schubert, ne saurait être de maturité, forcément. L’exécution en paraît soigneusement intériorisée, osant une certaine rigueur de ton fort à propos.
Ayant tôt et largement ouvert ses oreilles à la musique continentale, Frank Bridge signe en 1926 son Quatuor n°3 H.175 qui intègre Vienne à son ancienne facture, plus influencée par les Slaves des quatre décennies précédentes et par une certaine clarté française, via Fauré et Ravel. Toujours présent, le lyrisme entendu dans les deux précédents quatuors s’est déplacé dans des entrelacs plus savants et une certaine raucité de l’inspiration, si l’on peut dire, qui n’échappe pas aux Diotima. La première guerre mondiale fut un terrible traumatisme pour Bridge dont l’œuvre ne sonnerait plus jamais de ce bonheur étonné d’avant 1914. Aussi la désolation de l’Andante central bouleverse-t-elle.
Lorsqu’en septembre 1941 sonne pour la première fois son Quatuor à cordes en ré majeur Op.25 n°1, sous les archets du Quatuor Coolidge, à Los Angeles, Britten n’en est cependant pas à son premier coup d’essai dans ce genre. Outre un Quartettino, bref comme son nom l’indique, composé à dix-sept ans et que ressuscitera le Quatuor Arditti dans les années quatre-vingt, il signait un Quatuor en ré dès 1931 qui ne le satisfit pas sans qu’il y renonçât pour autant, puisqu’il en réalisa même une révision à la fin de sa vie (version de 1974).
Quant à cet opus 25, il vit le jour grâce à Elizabeth Sprague Coolidge, immense mécène américaine qui, outre cette œuvre, commanda de grandes pages à de nombreux musiciens dont Bartók, Enescu, Malipiero, Martinů, Prokofiev, Roussel et Schönberg. Le Quatuor Diotima choisit une sonorité gelée à l’Andante sostenuto, accordant un tout autre relief à l’épisode suivant (Allegretto) et travaillant plus adroitement encore la couleur de l’Andante calmo à l’envoûtante langueur. La joyeuse virevolte finale (Molto vivace) n’en prend que plus d’éclat.
Quatre ans plus tard, Britten achève son Quatuor à cordes en ut majeur Op.36 n°2 conçu pour les deux cent cinquante ans de la disparation d’Henry Purcell. Avouons-le : l’exécution en demeure moins probante, ce lundi, nos quartettistes accusant soudain quelques soucis de respiration et d’intonation dans l’Allegro initial. Les bondissements du Vivace médian recouvrent la fermeté nécessaire, tandis que Chacony, peut-être plus bartókienne que purcellienne, au fond, bénéficie d’une interprétation rondement menée d’où émerge une saisissante élégie d’alto.
Commande du Quatuor Amadeus qui le créerait à Aldeburgh en décembre 1976, une dizaine de jours après la mort du compositeur, le Quatuor à cordes Op.94 n°3 rompt avec les deux autres. Trente ans ont passé. Britten vient de livrer son ultime opéra, Death in Venice, d’après la nouvelle de Thomas Mann [lire notre chronique du 23 mai 2009]. Une apparente simplicité traverse l’œuvre, invitant les instrumentistes à des échanges solistiques ténus que les membres de Diotima servent remarquablement.
BB