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Chroniques
Quatuor Diotima
Béla Bartók, Igor Stravinsky, Karol Szymanowski et Lisa Streich
En résidence à l’Arsenal (Cité musicale-Metz), le Quatuor Diotima ne se contente pas d’y donner plusieurs soirées de concert, comme ce fut le cas en mai dernier avec un programme Beethoven, Debussy, Dusapin et Isabel Mundry, mais, en ce mois de février, déploie dans la ville lorraine une activité pédagogique et de rencontre à travers son académie destinée aux jeunes musiciens – compositeurs et interprètes. Aussi est-ce avec plaisir que nous retrouvons une formation qui nous est chère [lire nos chroniques du 17 juin 2008, du 17 mai 2009, des 27 février, 28 avril et 15 novembre 2010, des 5 mars, 19 et 25 novembre puis 10 décembre 2012, du 2 février 2014, du 1er décembre 2017, des 26 janvier et 9 septembre 2018, enfin du 8 décembre 2022].
Ce rendez-vous à la salle de l’Esplanade met à l’honneur des compositeurs venus de l’Est qui trouvèrent à Paris une sonorité et une manière différente de la tradition germanique. De fait, si les musiques de Chopin, Tchaïkovski et Moussorgski influencèrent Debussy, si Ravel se tourna vers celles de Borodine, Balakirev et Liszt, ces deux Français-là furent bien entendus par Bartók et Szymanowski, entre autres. Si les œuvres choisies furent conçues entre 1909 et 1927, une page d’aujourd’hui les côtoie honorablement. Ainsi, après une interprétation infiniment sensible du Quatuor Op.56 n°2 de Karol Szymanowski, écrit par le Polonais en 1927 à Paris – le Moderato dolce e tranquillo arrive de fort loin, et sa nuance est savamment maintenue du pianissimo à l’à peine mezzo-forte ; la saine tonicité du Vivace, ravélien en diable avec sa danse virevoltante, affirme une âpre raucité ; enfin, canon dolent en entrelacs enveloppant, voire invasif, le troisième épisode (Lento, Moderato) révèle un contrôle minutieux de la dynamique, ainsi qu’une qualité inouïe d’écoute mutuelle –, découvre-t-on Sternenstill de compositrice suédoise Lisa Streich (née en 1985, à Norra Råda). Écrite au début de la pandémie de Covid-19, dans les premiers mois de l’année 2020, la pièce – on traduira le titre par Le calme des étoiles – exprime l’apaisement soudain lorsque tout s’est alors arrêté. La teneur clairement contemplative de cet opus singulier surprend, au regard de pages composées par d’autres au même moment. Elle procède par effleurements de réminiscences mélodiques, avec quelques effets vocaux, comme survenus de derrière l’iconostase, pourrait-on dire, dans un grand raffinement dont la nostalgie s’apparente peut-être à celle de Judit Varga [lire notre chronique du 12 octobre 2017]. Sternenstill vient ici remplacer une création de Misato Mochizuki dont la réalisation n’est pas encore achevée.
Passé un bref entracte, nos quartettistes reviennent avec les Trois pièces pour quatuor à cordes concoctées par Igor Stravinsky en Suisse à l’aube de la Grande Guerre, puis créées à Chicago durant le conflit. Hargneuse à souhait, la première cède place à une insistance ténue, dotée d’une mélodie molle comme une montre de Dalí. On admire la perfection de Diotima dans la troisième, sorte d’hymne secret en alternance de phrases feutrées et hiératiques en homorythmie, articulées par des moments de suavité tendre – c’est presque austère, n’était la lumière des sections généreusement vibrées. Enfin, Béla Bartók avec le Quatuor en la mineur Sz.40 n°1 qu’il inventa au retour d’un séjour parisien et dans la douleur d’une rupture amoureuse (commencé en 1907, conclu en 1909), dont l’approche vigoureuse est ici menée de mains de maîtres !
BB