Chroniques

par bertrand bolognesi

Quatuor Ellipse
Marie-Catherine Girod et Antoine Pierlot

œuvres de Joseph Boulnois, Gustave Samazeuilh et Louis Vierne
Festival de Radio France et Montpellier Languedoc-Roussillon / Corum
- 22 juillet 2014
superbe Quintette op.42 de Vierne par l'excellent Quatuor Ellipse !
© dr

Au terme d’une semaine de concert se dessinent assez évidemment les grandes lignes qui marqueront cette vingt-neuvième édition du Festival de Radio France et Montpellier Languedoc-Roussillon : outre l’axe du violon, filé sur plusieurs étés (et peut-être pas aussi déterminant qu’il s’annonçait) [lire notre chronique du 19 juillet 2014 et écouter la retransmission disponible sur le site de France Musique], se trouvent explorées diverses autres thématiques, comme la Méditerranée, le centenaire de la Première Guerre mondiale et nos amies créatrices [lire notre chronique du 16 juillet 2014]. À cinq jours de la clôture de l’événement, le signataire de ces lignes sera la troisième plume de notre média à le chroniquer, ouvrant sa présence in loco par le cinquième volet Autour de 1914, après un rendez-vous de l’INA et la soirée du 16 (Liebeszauber de Rudi Stephan ; écouter], le rendez-vous chambriste d’hier (Caplet, Debussy, Devaere, Ravel) et le concert du soir, ouvert par le Chant funèbre d’Albéric Magnard [lire notre chronique de la veille ; écouter].

En mourant de la grippe espagnole à quelques jours de l’Armistice, l’organiste et compositeur picard Joseph Boulnois (1884-1918), à ce moment-là sergent-infirmier, laissait à peine une vingtaine d’opus dont la plupart sont écrits pour un effectif de chambre ou instrument solo (il faut compter quatre pages d’orchestre, dont l’une est inachevée, et un opéra). Sa Sonate en sol mineur pour violoncelle et piano date de septembre 1917. Une grave introduction du violoncelle l’ouvre (Andante tranquillo), bien tenue par Antoine Pierlot. Mais dès que le mouvement s’engage plus avant (Allegro moderato), le musicien semble s’emballer : la sonorité perd du corps, l’aigu est heurté, voire faux. Il se reprend dès après, mais non durablement. De son côté, Marie-Catherine Girod, la pianiste des trois pièces au programme, tisse un ostinato robuste et conclut bientôt dans un frémissement lumineux ce premier épisode. Au Choral succède un Scherzo farouchement rythmique, enfin la franche jubilation du Final (Allegro deciso).

Des trois séquences à former Le chant de la mer, conçues en 1918-19 sur la côte basque par Gustave Samazeuilh (1877-1967), par ailleurs critique musical célèbre en son temps, nous entendons la dernière, Tempête et lever du jour sur les flots, dont le caractère volontiers fougueux est parfaitement servi par Marie-Catherine Girod. Il y a du vieux Liszt dans le grave vrombissement initial, danger de tremblants organistiques où les souvenirs de Dukas et de Debussy viennent soudain ciseler différents plans dans une emphase retenue.

Enfin, le moment-clé de cette fin d’après-midi : le Quintette en ut mineur pour piano et cordes Op.42 de Louis Vierne, dédicacé « à la mémoire de mon cher fils Jacques, mort pour la France à dix-sept ans », un an avant les signatures de Rethondes, jour pour jour – de cette œuvre ô combien sensible qu’il désigna par le terme Ex Voto, nous entendions avec avantage l’interprétation remarquable du Quatuor Danel, ce printemps [lire notre chronique du 26 mars 2014]. La pianiste impose une douce autorité au Poco lento qui amorce le Moderato, jeu de répons sur un modèle liturgique. Sans surenchère mais bien plutôt dans un soin minutieux de l’équilibre, le Quatuor Ellipse [photo], fondé il n’y a que deux ans, déploie un coloris délicat, distillé par l’extrême tendresse de Lyodoh Kaneko (premier violon) et l’infaillible sûreté de Florent Carrière (violoncelle). Après une conclusion dans une demi-teinte opalescente, à peine souligné d’un discret tremolo, s’enchaîne le chant recueilli d’Allan Swieton (alto), comme du bout des lèvres (Larghetto sostenuto), relayé par l’âpre commentaire du tutti. Un Allegro molto risoluto finit ce quintette dont les interprètes soulignent la révolte échevelée, fugato fiévreux. Bravo !

L’Orchestre national de France et Gianandrea Noseda traiteront encore demain soir la thématique Autour de 1914 (Casella, Debussy, Rachmaninov), mais déjà nous vous invitons à écouter le présent concert à 12h35 sur les ondes citées plus haut.

BB