Chroniques

par bertrand bolognesi

Quatuor Ellipse
Guillaume Lekeu et Albéric Magnard

Romantisme entre guerre et paix / Palazzetto Bru Zane, Venise
- 17 octobre 2014
au Palazzetto Bru Zane (Venise), concert du Quatuor Ellipse : Lekeu et Magnard
© dr

Inauguré fin septembre par Au pays où se fait la guerre, récital vocal que nous applaudissions en tournée à Rome [lire notre chronique de la veille], le cycle Romantisme entre guerre et paix du Palazzetto Bru Zane se poursuit in loco jusqu’au 11 décembre. Ce soir, nous y retrouvons avec grand plaisir le jeune Quatuor Ellipse dont récemment on saluait la belle interprétation du Quintette avec piano Op.42 de Vierne [lire notre chronique du 22 juillet 2014], un opus tragique qu’en clôture de festival sonneront les Modigliani [lire notre chronique de l’avant-veille].

Né dans un temps de guerre (1870) et prématurément emporté vingt-quatre ans plus tard par la typhoïde, le compositeur belge Guillaume Lekeu n’aura pas eu loisir de s’exprimer autant que d’autres, même s’il laissa une bonne trentaine d’opus achevés, tout de même, parmi lesquels des pages remarquables (dont le fort émouvant Adagio pour cordes de 1891). Empruntant à Saint Matthieu narrant les sept dernières paroles du Christ, Mon âme est triste jusqu’à la mort est un Molto adagio pour quatuor à cordes, écriten 1886-87. Loin de tout appui trop dramatique, nous en goûtons une lecture infiniment recueillie où déjà la nudité enveloppante du violoncelle dialogue avec un premier violon élégiaque. Cette interprétation évite le pathos tout en restant mobile, pourrait-on dire, loin d’être froide, en tout cas. Après une déploration mélismatique de l’alto, au chant « loyalement » gras, les violons s’écrient douloureusement. Le mouvement s’éteint ensuite en grande simplicité, sans rubato excessif.

Voilà saisissante entrée en matière ! S’il est un auditeur à désirer quelque peu s’en reposer, il sera déçu… ou suffisamment bousculé dans cette confortable aspiration pour demander plus à son écoute comme au concert lui-même, puisque d’emblée le Quatuor en mi mineur Op.16 d’Albéric Magnard l’emporte dans le vif-argent de sa Sonate (Animé), touffue et fougueuse. Après un bref îlot méditatif s’enchaîne un entrelacs lyrique de vaste proportion, ici livré dans un équilibre heureux. Ce premier épisode s’achève dans une sorte de touffeur qui fragmente la citation des premiers pas. Si le Quintette Op.8 de 1894 avouait une écriture inventive et savoureuse qui s’entend plaisamment [lire notre chronique du 17 juin 2014], le Quatuor de 1903, conçu entre les opéras Guercœur et Bérénice [lire notre chronique du 4 avril 2014], s’avère redoutablement difficile pour les interprètes (qu’il sollicite sans relâche quarante minutes durant) et exige du public une concentration qui dépasse le bouleversant élan initial. Sa Sérénade (Vif) frémit d’une indicible fraîcheur, scherzo bondissant au gré de pizz’ musclés, dans la virevolte presque folklorique de son acte médian, en chanson simple mais jamais facile, bientôt fuguée. Sa conclusion pianississimo annonce le sommet : Chant funèbre (Largement sans lenteur), intensément plaintif (chacun des quartettistes est tour à tour sollicité), répétant cycliquement ses motifs qu’il altère discrètement, jusqu’à une mi-voix d’harmoniques qui force l’admiration. Magnard cautérise les aléas de cette incroyable élévation par un dernier mouvement enlevé qui mord vigoureusement l’écoute : Danses (Vif, populaire) bénéficie de l’abord précieusement nuancé du Quatuor Ellipse, décidément passionnant.

BB