Chroniques

par bertrand bolognesi

Quatuor Keller
Johannes Sebastian Bach et György Kurtág

Cité de la musique, Paris
- 21 septembre 2012

Le cycle Bach|Kurtág commencé il y a deux jours se poursuit ses vendredi et samedi par deux moments chambristes fort attendus. Dans la suite du concert de l’Ensemble Intercontemporain [lire notre chronique de la veille], le premier s’attelle à des extraits de L’art de la fugue servis, cette fois, par un quatuor à cordes. Le fameux Quatuor Keller (du nom de son premier violon András Keller intimement lié à la création kurtáguienne) s’engage dans un Contrapunctus I où la profondeur du violoncelle et la couleur de l’alto mettent en relief la densité des violons. Pourtant, dès cette première pièce du programme (d’ailleurs disponible sur support DVD), l’acidité du violon-maître surprend négativement, par-delà une respiration commune d’une rare cohésion. À l’épaisseur concentrée du Contrapunctus II succède la tendresse formidablement « consolatrice » du III, porté loin par le violoncelle de Judit Szabó. Avec le Canon XV la méforme du premier violon se fait criante au point d’entraver considérablement l’interprétation.

C’est le moment de s’exprimer sur une entrave bien plus gênante, d’autant qu’elle est facilement évitable : faire entrer le public après le début du concert, entre chaque mouvement, et ce jusqu’à l’interstice entre les pénultième et dernière pièces de la première partie, est proprement inacceptable. On conçoit aisément, pour fréquenter soi-même le transport parisien, qu’il ne soit pas toujours possible à chacun d’arriver à l’heure ; le problème n’est pas là. Faire entrer une dizaine d’auditeurs entre les deux premiers Contrepoints passe encore. Mais le faire systématiquement pendant plus d’une demi-heure (comme ce fut le cas vendredi) est désastreusement perturbant. Avec la meilleure volonté du monde, les retardataires empêchent forcément l’écoute de chaque attaque et finissent, lorsque le désagrément est ainsi répété, pas considérablement déconcentrer de toute musique. Il y a des mesures à prendre, nous semble-t-il ; après cela, quelle réponse attendre à l’aimable injonction d’éteindre les téléphones portables quand les salles elles-mêmes génèrent un tel barouf ? Il devient difficile d’assister à un concert dans de bonnes conditions : les uns parlent, les autres feuillettent compulsivement la brochure-programme (qu’ils ne lisent pas), quand ils n’émettent pas tout aussi compulsivement quelque « Sms » dont l’illumination inonde l’auditoire (ce qui se rencontre de plus en plus à l’opéra où c’est encore plus brutalement intrusif qu’au concert)…

Revenons à nos moutons… plus précisément aux Microludes de György Kurtág, Hommage à András Mihály composé entre 1977 et 1978. Nous en goûtons une lecture minutieusement « distribuée », en quelque sorte, webernienne en diable, où András Keller retrouve sa santé violonistique. De fait, la fraîcheur avec laquelle le quatuor s’engage ensuite dans le Contrapuctus IV de Bach confirme cette saine reprise de ses moyens. Construit sur la partie de violoncelle, le VI gagne une fluidité séduisante que favorise une indicible souplesse du tactus, dans une nuance choisie. Retour au Hongrois, avec Secreta, donné dans une demi-teinte savamment gelée. Après la fascinante superposition d’ostinati de Perpetuum mobile (ces deux pages sont extraites de Signes, commencé en 1989 et toujours sur le métier actuellement), le Canon XIV accuse une nouvelle fois le premier violon. En souvenir d’un programme Bartók superbement défendu à l’automne dernier par le même Quatuor Keller [lire notre chronique du 19 novembre 2011], mieux vaudra en rester là.

BB