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Chroniques
Quatuor Phædrus et Iouri Bashmet
œuvres de Mozart, Schubert et Webern
Nous retrouvons [lire notre chronique du 29 juillet 2005] quatre jeunes gens particulièrement talentueux – les violonistes Yuna Lee et Ilya Gringolts, l’altiste Kyle Armbrust [photo] et le violoncelliste Dimitri Kouzov – dans un programme viennois, l’acoustique de l’Église de Verbier se prêtant idéalement au rendu des cordes. Tout en obéissant à l’exigence d’une vivacité sombre, expressionniste, le Quatuor Phædrus garde, dès le saisissant premier mouvement des cinq qui constituent l’opus 5 d’Anton von Webern, quelques accents hérités d’un romantisme qui n’était guère lointain alors (ce sont bien ces sons-là que l’auteur dut entendre avant de concevoir sa propre esthétique). À la tendresse désolée de la couleur du second, soigneusement dosée par l’alto et le violoncelle, suit un épisode littéralement tranchant. Dans une lecture d’une précision absolue, la quatrième pièce se fait poseuse d’énigmes, tandis qu’autour du violoncelle la dernière se réconcilie avec un lyrisme plus épanoui.
Rejoints par Iouri Bashmet, les quartettistes donnent ensuite le Quintette en ré majeur K593 n°5 de Wolfgang Amadeus Mozart, introduit dans le corps généreusement vibré du violoncelle, ponctué des répons gracieux mais jamais anodins de ses partenaires, vers un mouvement d’une sonorité fort ronde qui, loin d’hésiter, accueille une dynamique contrastée et parfois véhémente. Sans perdre en présence, l’Adagio brille par son élégance, tandis que le Menuetto virevolte joyeusement, révélant l’excellence des phrases doublées, malgré un violoncelle qui accuse quelques soucis de hauteur. L’interprétation de l’Allegro confirme un Mozart conçu sans redingote ni perruque, expressif et même musclé.
C’est vers Franz Schubert que se tourne la seconde partie de ce rendez-vous, celui du Quatuor en sol majeur D887 n°15. Dès la tragique introduction du premier mouvement, le public demeure coi, attentif et fasciné par la perfection du socle comme pédalisé des cordes soutenant les différents soli dans un raffinement extrême. Puissant dès l’abord, le discours gagne peu à peu une profondeur remarquable, une lumière miraculeuse envahissant le retour du très beethovénien motif principal. C’est ensuite dans une déconcertante simplicité que le Quatuor Phædrus énonce la douce danse populaire qui forme l’Andante un poco moto, faisant bientôt retentir en grande angoisse les appels répétés que le compositeur a laissé sans réponse. Une menace sournoise habite l’ultime retour de la danse. L’exécution du Scherzo use des mêmes qualités d’effervescence rencontrées dans la dernière section de la page mozartienne, chantant exquisément la digression centrale. Ne jugulant pas en si bon chemin leur formidable inspiration, les musiciens livrent l’Allegro assai dans un affolement désespéré, lui ménageant une articulation et des couleurs quasiment orchestrales.
Impossible d’en sortir indemne. Car si l’on croise quelques mauvais concerts, beaucoup de meilleurs, et même de rares bons et très bons, il arrive également que certaines soirées vous transforment…
BB