Chroniques

par bertrand bolognesi

Quatuor Psophos
Webern et Berg au programme

Salle des Fêtes du Musée d’Orsay, Paris
- 9 décembre 2003
Quatuor Psophos
© dr

Une nouvelle fois dans le cadre du cycle Les origines de l’avant-garde [lire notre chronique du 4 décembre 2003], le Musée d’Orsay convie à un midi trente des plus viennois, donné par quatre jeunes femmes : les musiciennes du Quatuor Psophos, formé lui aussi au Conservatoire de Lyon, il y a cinq ans, et fortement encouragé dans sa démarche par le compositeur Gilbert Amy. Nous vous présentions cet ensemble à l’occasion de la parution chez ZigZag d’un disque consacré à Mendelssohn [lire notre critique CD].

Tout commence avec le Langsamer Satz écrit par Anton Webern en 1905, encore influencé, à vingt-deux ans, par l’esthétique de Brahms qu’il mêle presque scandaleusement au lyrisme de Wagner et à l’expressivité de Mahler. L’interprétation du Quatuor Psophos se caractérise d’abord par une délicatesse infinie, usant de pianississimi à la limite de l’absence, le public s’en trouvant littéralement suspendu à la dernière phrase sans pour autant que soit jamais oublié le chant. Une couleur romantiqueest assumée, tout en indiquant les chemins qui allaient être ceux de Webern dans ses œuvres postérieures. Frape le grand équilibre de cette lecture livré par l’instrument- quatuor, unique et subtilement construit, et non quatre instrumentistes s’exprimant ensemble.

Le Webern plus radical est abordé avec les Sechs Bagatellen Op.9, aux antipodes du lyrisme précédent. Huit années ont passé, principalement marquées par les Fünf Sätze Op.5, un tournant décisif dans le chemin du compositeur, et les Sechs Stücke Op.6 pour grand orchestre, le premier chef-d’œuvre d’un homme qui sut faire chatoyer son matériau, la Klangfarbenmelodie, tout en le soumettant à une forme d’une rigueur nouvelle. Les Bagatelles de 1913 présentent six brèves pièces d’une dizaine de mesures, tout au plus. Sans place pour le bavardage ou l’épanchement, on l’aura compris, cette œuvre ouvre l’ère d’une musique essentielle qui devait influencer son auteur en premier lieu, mais aussi toute la génération sérielle d’après guerre. Les quartettistes joue cet ensemble dans une sobriété proche de l’effacement, n’accentuant jamais les contrastes, avec précision, sans pour autant céder à l’austérité un brin naïve d’une sonorité dure et trop radicale. On apprécie la retenue classique, pourrait-on dire, choisie pour cette œuvre aphoristique qui absorbe l’auditeur vers son énigme plutôt que de bousculer son écoute.

Enfin, la Lyrische Suite d’Alban Berg occupe la plus grande place. Cette fois, Psophos s’adonne à un jeu des plus contrastés, servant magnifiquement une partition totalement débridée dont la sensualité et la codification firent couler beaucoup d’encre (notamment celle d’Esteban Buch). Avec deux premiers mouvements jouissant d’un relief superbe, l’Allegro misterioso est minutieusement exposé dans la nuance exacte. Ses dernières mesures se perdent jusqu’à disparaître, avant de commencer l’âpre Adagio appassionato plein d’un suspens presque angoissant. On regrette cependant un violoncelle trop discret qui jamais ne profite des moments que lui confie cet opus. La minutie apportée à l’exécution du cinquième mouvement demeure stupéfiante : rien n’est laissé de côté, réalisant parfaitement la moindre indication de Berg. Le Largo desolato sur lequel se termine cette Suite est à peine étiré, sans démesure. Il vient clore une interprétation aussi sensible qu’exemplaire.

BB