Chroniques

par laurent bergnach

Quatuor Takács
œuvres de Bartók, Janáček et Smetana

Auditorium du Musée d’Orsay, Paris
- 14 novembre 2013
le Quatuor Takács joue Bartók, Janáček et Smetana
© ellen appel

Ouvrant le cycle Allegro Barbaro qui accueillera prochainement les Quatuors Pražák (28 novembre) et Keller (12 décembre), le Quatuor Takács à quitté sa résidence à l’Université du Colorado (États-Unis) pour donner ce soir un récital voué aux musiques d’Europe Centrale : celles du Hongrois Béla Bartók (1881-1945), puis des Tchèques Leoš Janáček (1854-1928) et Bedřich Smetana (1824-1884).

Mouvement unique de quatre parties enchaînées terminé en septembre 1927, le Quatuor n°3 Sz85 ouvre le programme, dans lequel « Bartók cherche à reproduire aux cordes le même type d’effets percussifs que dans les pièces pour piano de 1926, […] ose un chromatisme hardi, exalte la dissonance, sans que disparaisse jamais le sentiment de tonalité » – ainsi que l’analyse Claire Delamarche (in Béla Bartók, Fayard, 2013). L’œuvre surprend par sa modernité et ses alliages réussis de climats antagonistes : grinçant mais somme toute mélodieux, élégiaque et tendu, souriant sans manquer d’âpreté, etc. Techniquement, on entend des attaques sûres, des traits vifs, des pizz’ ronds et percutants ; on admire les violons affûtés de d’Edward Dusinberre et Károly Schranz, l’alto particulièrement chantant de Geraldine Walther, mais beaucoup moins le violoncelle terne et ronflant d’András Fejér – seul membre encore en activité, avec Schranz, de la formation qu’alors étudiants ils ont fondés voilà près de quarante ans.

Si son premier essai dans le domaine répondait à une commande du Quatuor de Bohème en 1923, le Quatuor n°2 « Lettres intimes » (1928) doit tout à l’élan d’un amour « purement spirituel » de Janáček septuagénaire pour Kamila Stösslová, femme mariée de près de quarante ans sa cadette. Le sous-titre donné à l’œuvre écrite entre le 29 janvier et le 17 février, puis créée par le Quatuor Morave quelques semaines après le décès du compositeur, fait d’ailleurs référence aux centaines de lettres échangées durant une liaison essentiellement épistolaire. L’Andante alterne des moments sereins, caressants et joviaux avec des élans passionnés ; de la même manière, l’Adagio offre tendresse, voire béatitude, avant de devenir échevelé sinon dansant. Poignant et indécis, le Moderato se veut doux-amer, hésitant entre galop et suffocation, timidité et déclamation. Enfin, le Con moto offre un entrain assez sombre alla tsigane, une vivacité sans morsure et quelques alanguissements moelleux.

Rebelle à l’hégémonie autrichienne, Smetana témoigne des richesses de la Bohême populaire dans sa musique de chambre, mais aussi de drames intimes tels la mort de sa fillette de quatre ans et l’apparition d’une surdité aussi soudaine qu’irréversible, une nuit d’octobre 1874, dont rend compte le Quatuor en mi mineur n°1 « De ma vie » (1879). D’inspiration romantique, l’Allegro vivo appassionato gazouille avec légèreté tandis que se dessine une certaine tension inquiète. Espiègle et bonhomme, l’Allegro moderato alla Polka fait référence à la jeunesse du compositeur, acteur et témoin de la danse tchèque. Dans le Largo sostenuto, la plainte du violoncelle entraine à sa suite les autres instruments dans la mélancolie, mais le mouvement s’achève dans un climat hagard et recueilli qui relate la rencontre de la femme aimée. Enfin, le Vivace retrouve le thème douloureux initial, avec une brutalité qui tourne pourtant à un apaisement allègre, appelant la nuance et l’assoupissement.

LB