Chroniques

par gilles charlassier

Quatuor Zemlinsky
œuvres de Beethoven, Haydn et Zemlinsky

Théâtre des Bouffes du nord, Paris
- 14 décembre 2015

Programmation de musique de chambre initiée en 2013 par le Théâtre des Bouffes du Nord dans des lieux plus ou moins consacrés aux muses de l'harmonie dont la jauge et l'acoustique se conjuguent en une alchimie favorable, La Belle Saison revient en ses fonds baptismaux, ce lundi de mi-décembre, avec un récital de quatuor à cordes qui résonne comme un retour aux essentiels.

Les Zemlinsky ouvrent ainsi avec un ouvrage de Haydn, le Quatuor en ut majeur Op.76 n°3 « der Kaiser ». L'Allegro initial témoigne d'une belle collégialité, dans une dynamique générale où élégance sobre et saveur se marient aisément. Le deuxième mouvement, à variations, Poco adagio cantabile dont le thème connut la postérité par l'hymne national allemand, évite toute raideur dans des enchaînements où préside une fluidité organique sans ostentation. L'instinct de construction ne ressent pas ici le besoin de caution intellectuelle pour exprimer l'accomplissement de formes classiques dont le maître autrichien tire parti avec naturel, sinon liberté. Le Menuetto n'oublie pas de se faire délicatement dansant et confirme la patine homogène d'une formation qui n'accuse pas la sève slave coulant en ses cordes. D'un dramatisme nourri, le Presto conclusif livre une étourdissante synthèse de mesure et d'expressivité.

Il était vraisemblablement inconcevable aux quatre musiciens tchèques de faire l'impasse sur leur compositeur emblème. Œuvre de jeunesse d’Alexandre von Zemlinsky datant de 1896, le Quatuor en la majeur Op.4 n°1 témoigne d'un façonnement des textures qui doit beaucoup à l'intensité brahmsienne. Les solistes ne cherchent aucunement à le démentir et le premier motif de l'Allegro con fuoco, comme la conduite des voix, en offre un exemple éloquent. L'Allegretto puise dans la même veine et, sans monolithisme aucun, privilégie la tonalité sentimentale dominante. Une évidente fébrilité innerve les volutes lyriques nomades d'un pupitre à l'autre, dont elle contribue à réunir les personnalités : Breit und kräftig, le troisième mouvement ne laisse aucun répit à une densité qui emprunte son langage à la tradition germanique, rendue audible sans artifice. Assurément, la modernité ne court pas après sa caricature et ses dissonances ; les Zemlinsky savent maintenir une tension permanente sous l'apparence d'un certain académisme romantique, ce que le final, Vivace e con fuoco, confirme sans réserve dans des teintes plus lumineuses, telle une résolution finale des contradictions harmoniques précédentes.

La seconde partie de soirée est dévolue à Beethoven et l’un des piliers incontournables du répertoire : le Quatuor en si bémol majeur Op.130 n°13 « große Fuge », revenant aux intentions princeps du compositeur. Les choix herméneutiques, entre autres dans les tempi, illustrent admirablement la souplesse d'archet qui avait prévalu dans les deux autres pages. La vigueur de l'Allegro d'ouverture ne s'en trouve point émoussée, pas davantage que l'humoristique et bref Presto qui suit. Après l'allure détendue de l'Andante con moto et de l'Alla danza tedesca, l'intensité de l'Adagio s'épanouit avec une retenue lyrique jamais condescendante. Quant à la große Fuge, son contrepoint serré jubile ici sans façons : à la rigueur nul besoin d'austérité. En cadeau de départ, l'auditoire est gratifié du mouvement lent du Quatuor en fa majeur Op.96 n°12 « Américain » de Dvořák.

GC