Chroniques

par bertrand bolognesi

Quatuors Castalian, Diotima et Zemlinsky
Antonín Dvořák, György Ligeti, Wolfgang Amadeus Mozart

Streichquartettfest / Alte Pädagogische Hochschule, Heidelberg
- 26 janvier 2018
La Quatuor Castlian joue Mozart à la Streichquartettfest d'Heidelberg
© kaupo kikkas

L’une des particularités de la Streichquartettfest d’Heidelberg est de réunir dans ses concerts du soir plusieurs formations qui interviennent par ailleurs en des moments dédiés, qu’il s’agisse de rendez-vous proprement musicaux avec le public, de master classes ou d’ateliers. Ainsi entendrons-nous trois quatuors, dans ce programme qui brasse les époques.

À commencer par le Quatuor Castalian [photo], fondé en 2011 par des élèves d’Oliver Wille (Hochschule für Musik d’Hanovre), qui s’expriment sur des instruments de factures différentes (italienne du XVIIIe siècle et de la fin du XVIIe siècle, en majorité, avec un alto d’aujourd’hui). Ils donnent le Quatuor en mi bémol majeur K.428/421b de Wolfgang Amadeus Mozart (1783). Après un introït tout en retenue, comme au bord des lèvres, l’Allegro non troppo va son cours sans effets benêts : tout est dans l’équilibre plutôt qu’en brio. À ce titre, notons la discrétion avisée de Christopher Graves au violoncelle, la demi-teinte du premier violon par Sini Simonen et la pâte plus présente de Charlotte Bonneton à l’alto. Un fondu fort savant engage l’Andante non troppo, dont la mélodie oscille entre inquiétude et lumière, le sourire l’emportant toujours. L’option interprétative se maintient dans un Menuetto qu’elle induit forcément un peu moins tonique, voire pâlot. C’est un choix qui, pour ne pas nous enchanter toujours, s’avère parfaitement défendable… et, ici, adroitement défendu ! Dans la danse, il présente l’avantage d’une fluidité assez réjouissante. L’Allegro vivace est délicieux, sous ces archets complices, oscillant entre souvenir postbaroque et intuition préromantique. Au second violon, Daniel Llewellyn Roberts profite d’une accentuation choisie pour idéalement doser les contrastes. De toute évidence, cet équilibre précieux est devenu habituel aux Castalian, sans austère contrainte mais une limitation précise qui mène vers cet exquis bonheur qui est le leur.

Après un après-midi qu’il consacrait à Miroslav Srnka [lire notre chronique du jour], nous retrouvons le Quatuor Diotima dans Métamorphoses nocturnes de György Ligeti (1954), page appartenant aux années hongroises. Au fil des quatre mouvements enchaînés l’on apprécie la grande qualité d’écoute des quartettistes, alto et violoncelle formant un instrument hybride, dans le premier épisode où les violons s’envolent à l’infini. Le Presto parle résolument magyar ! De fait, l’interprétation s’inscrit dans la lignée de Bartók. Le retour du motif initial se révèle âpre et douloureux. La désolation est interrompue par un Prestissimo dru comme jamais, ostinato proliférant qui fascine, dans un infernal tempo magistralement tenu, tandis que l’Andante tranquillo, seconde partie du deuxième mouvement, tente une lueur moins farouche, en tendre choral vacillant parsemé de rudes gelures. Tempo di valse, moderato, con eleganza, un poco capricioso – Allegretto, un poco giovale : sur l’onctuosité désinvolte des pizz’, la valse biscornue s’amorce sans ostentation, cédant place à un rythme hongrois musclé, en conversation tonique et dense. Le thème initial revient sous l’archet intrusif d’Yun-Peng Zhao. Les cordes pincées inventent un monstre génial, guitare, harpe et cymbalum tout à la fois. Le dernier épisode (Subito allegro con moto – Prestissimo) conjugue les caractères, alto lyrique (Franck Chevalier), chaleur ténue du second violon (Constance Ronzatti) et raucité rhapsodique du violoncelle (Pierre Morlet).

Enfin, le plus célèbre des quatuors d’Antonín Dvořák est somptueusement servi par František Souček et Petr Střížek aux violons, Petr Holman à l’alto et Vladimír Fortin au violoncelle, qui forment le Quatuor Zemlinsky (créé en 1994). La couleur accordée à l’Allegro ma non troppo du Quatuor en fa majeur Op.96 n°12 « Américain » (1893) est formidablement pénétrante sans s’encombrer de sotte opulence, ce qui favorise une virevolte lyriqueproprement irrésistible, jusqu’à l’effervescence jubilatoire du final. L’inénarrable nostalgie du Lento se garde de touffeur superfétatoire et traverse de part en part le flamboiement nuancé, sans soupirs ni pamoison. On en admire le chant généreux. Les contrastes très caractérisés du Molto vivace, entre ostinati et variations, froncent les sourcils vers des éthers élégiaques. Électrique et cordial, le Final (Vivace ma non troppo) emporte l’assistance !

BB