Chroniques

par bertrand bolognesi

quelques raretés

Académie Festival des Arcs / Chapiteau Arc 1800 et Coupole Arc 1600
- 26 et 27 juillet 2005
Photo de Bertrand Bolognesi, une chapelle s’ouvre sur les alpes
© bertrand bolognesi

On ne remerciera jamais assez les festivals qui osent présenter au public des œuvres mal ou pas du tout connues, plutôt que de lui servir chaque année un menu similaire dont on change à peine l’ordre des plats et les oppositions de saveurs. En mettant à l’honneur la musique de chambre d’Igor Stravinsky, l’Académie Festival des Arcs se devait de faire entendre les contemporains du plus célèbre russe de Paris. Excellente idée de jouer Nin, Collet, de Falla et Martinů, comme d’aller puiser dans ce qui put former Stravinsky, à savoir Rimski-Korsakov, Glinka et Tchaïkovski.

Dans un même esprit de mise en regard et de découverte, nous entendons la Sonate pour violon et piano, écrite par Georges Auric en 1936, dont les quatre mouvements bénéficient de la délicate approche de l’archet d’Alexis Galpérine, secondée par le piano infiniment nuancé de Daniel Blumenthal. Le plaisir ici rencontré vient incontestablement de la qualité de l’interprétation, car pour tout dire, cette page d’une légèreté déconcertante accuse une certaine mièvrerie. Les musiciens en signent l’exécution par un final festif et brillant. Autre pièce à ne guère hanter les salles de concert, la Sonate en ut mineur de Ludwig Spohr est donnée par José-Daniel Castellon à la flûte et Isabelle Moretti à la harpe, dans une lecture joliment nuancée, surtout pour le sensible Andante espressivo. Convoquant à leurs côtés la clarinette de Robert Bianciotto, l’alto de Louis Fima, le violoncelle de Xavier Gagnepain et les violons d’Eric Crambes et François Payet-Labonne, ces deux artistes jouent également l’Introduction et Allegro de Ravel dans un bel équilibre, affirmant juste ce qu’il faut le caractère élégiaque où éclatent les arpèges de la harpe, soignant des échanges bien réalisés (notamment entre l’alto et le violoncelle), des relais (comme lorsque l’alto reprend la couleur d’une note de flûte), des motifs d’accompagnement – la couleur délicatement feutrée de la harpe soutenant discrètement la mélodie de la clarinette. Comme ce résultat exemplaire en témoigne, une véritable qualité d’écoute entre les musiciens est au rendez-vous.

Étonnant s’avère le Trio de Carl Heinrich Reinecke, annonçant déjà, chez ce sérieux patron du Gewandhaus, la manière enlevée d’un Poulenc (qui ne viendrait qu’après plusieurs décennies) tout en affirmant un héritage brahmsien assez évident. Autour du jeu toujours raffiné de Daniel Blumenthal, Gildas Prado au hautbois souligne le lyrisme de l’œuvre, dans la bienveillante ponctuation du cor de Michel Molinaro. Le pianiste espagnol Antonio Soria est un grand défenseur de la musique de Turina, comme nous le rappellent son expérience discographique et les choix qu’il fait au sein des concerts. Au violoncelle, Raphaël Chrétien introduit avec une immense profondeur Circulo Op.91 dans lequel Eric Crambes avance la carte de la couleur, révélant à eux trois un parfum tout debussyste à cette page.

Comme pour préparer l’année Mozart, Robert Bianciotto, Louis Fiuma et Michel Dalberto donnent à la Coupole le Trio en mi bémol majeur K.502, fort élégamment articulé, avec un piano qui chante discrètement, dans sonorité réduite, propre aux crocodiles nains (pour prolonger le mot de Tardieu) qui, plutôt que de présenter un handicape, offre à Dalberto la possibilité d’imiter des couleurs de pianoforte tout à fait d’à-propos. Enfin, deux œuvres de Stravinsky : la Suite italienne aux bondissants accents de laquelle notre oreille quitte aujourd’hui Les Arcs, livrée à l’enthousiasme de Xavier Gagnepain et Pascal Godart, et la plus que brève Epitaphe à la mémoire de Prince Max Egon de Fürstenberg, servie mardi soir par une précision décoiffante (Castellon, Bianciotto et Moretti).

L’an prochain, la direction artistique de l’Académie Festival des Arcs sera confiée à Eric Crambes (créateur du jeune festival ardéchois Opus). Une porte s’ouvre vers de nouvelles aventures que l’édition 2006 ne manquera pas de révéler. Quant à nous, dans l’immédiat, de montagne en montagne, la randonnée musicale continue…

BB