Chroniques

par bertrand bolognesi

récital Hortense Cartier-Bresson
œuvres de Bach, Berg et Schumann

Atrium Musical Magne, Paris
- 20 mai 2005
la pianiste Hortense Cartier-bresson photographiée par Henri Cartier-Bresson
© henri cartier-bresson

Ouvrir un récital par la Sonate Op.1 d’Alban Berg (1908), c’est plonger sans préambule le public dans la tourmente d'une Vienne happée par la modernité et encore fascinée par sa propre décadence. Moins schumanienne qu'on a l'habitude de l'entendre, l'interprétation d’Hortense Cartier-Bresson lorgne peut-être plus du côté de Richard Geistl que vers Klimt ou Schiele, à parler peinture. Tout en respectant à la lettre la moindre indication de dynamique de la partition, la pianiste en révèle plutôt les dilemmes par une lecture assez rude qui évoque le Mahler parfois cataclysmique de l'Adagio de la Symphonie n°10 et non la sensuelle saveur de sesLändler. La profondeur du Bösendorfer fait merveille, venant accuser cette option relativement noire. La musicienne l'œuvre, parfois jusqu'à brutaliser quelque peu les aigus, puis en portant loin le chant de la dernière partie, dans une grande tendresse.

En revanche, pour la Partita en ré majeur BWV 828 de Bach, la sonorité paraît nettement trop lourde, d'autant qu'un copieux jeu de pédales n'est pas avantageux. L'ornementation de l'Ouverture s'appesantit d'une graisse disgracieuse, tandis qu'une égalité de timbre gagne fort heureusement l'Allemande. Peu à peu, le jeu se détend, la frappe s'allège, si bien que la Courante danse même un peu. C'est avec un phrasé fort qu’Hortense Cartier-Bresson s'engage dans l'Aria, de sorte qu'ayant bien du mal à en soutenir pertinemment le discours jusqu'à la fin, il lui faut recourir à une orgie de nuances, certes généreuses, mais hors de propos. Après une telle dépense d'énergie, la fatigue engendre un salutaire effacement qui enfin laisse entendre la Sarabande et nulle autre chose. De même le Menuet fait-il entièrement place à la musique. Mais à trop s'agiter l’on perd ses forces : c'est avec de nombreuses maladresses et une irrégularité troublante que la Gigue ferme hasardeusement l’exécution.

Dans Kreisleriana Op.16 de Robert Schumann, le Bösendorfer révèle son excellence, s'avérant idéal sous les doigts d'une artiste qui colore superbement la partition. Après une introduction fulgurante, son jeu entretient une grande souplesse tout au long, tout en architecturant une lecture intelligente dans une approche proprement orchestrale. En surgit une belle expressivité, bondissante ici, dépouillée là, jusqu'au quasi parlando recueilli à la suavité miraculeuse. Autant de bonnes raisons de retrouver l’artiste au prochain Festival des Arcs dans Ravel, Chostakovitch et Fauré (du 17 juillet au 1er août).

BB