Chroniques

par françois cavaillès

récital Marianne Crebassa
Victorien Vanoosten dirige l'Orchestre de chambre de Paris

Opéra Comique, Paris
- 24 octobre 2017
Marianne Crebassa chante avec l’Orchestre de chambre de Paris
© simon fowler

Aux doux accents de flûte signalant l'entrée d'un gracieux Cupidon pour la cavatine Nobles seigneurs, salut ! dans Les Huguenots de Meyerbeer, revoilà, de son pas décidé sur les grandes scènes de France comme à l'international, Marianne Crebassa et Oh, Boy !. Les airs français de ce disque très dense, primé par l'Académie Charles Cros l'an dernier, constituent l'essentiel d'un récital fort assuré. Au superbe rendez-vous lyrique parisien, salle Favart, oyez donc les belles heures du chant mezzo félin, entrelardées de jolies pages orchestrales...

Amplitude, grande clarté, prestance et naturel séduisent déjà au piquant premier divertissement de la soirée (sans davantage de Meyerbeer par la suite, hélas !). La battue de Victorien Vanoosten, à la tête de l'Orchestre de chambre de Paris, est souple et efficace, accompagnant volontiers la mélodie jusqu'aux vocalises bien éprouvées.

Comme en témoigne l'Ouverture de Phèdre, très subtile et romantique, le jeune chef sait, de plus, fort bien révéler le pouvoir magique de Massenet [lire notre chronique du 3 octobre 2015] : musique un peu sombre, puis réjouissante après une montée dramatique envoûtante, et enfin de plus en plus animée jusqu'à une belle sortie... l'appétit d'opéra est grand ouvert.

Vif à souhait, plein de bonheur pour Amour, viens rendre à mon âme de l'Orphée et Eurydice retravaillé par Berlioz d'après Gluck, l'orchestre rivalise de dynamisme avec la cantatrice à l'émission fabuleuse (presque autant que le rôle peut l'exiger). Sans écart, les vocalises riches de bravoure donnent naissance à un petit prodige a cappella, par la remarquable spatialisation du son issu de l'organe expert. La pureté du chant, évidente alors, semble continuer tout le soir.

D'un récitatif suggestif et pénétrant se fait l'incursion dans Psyché d'Ambroise Thomas, et ce notamment par un très joli Attendons qui, avec charme, retient l'émotion. La romance du sommeil revêt ensuite la forme d'une lente prière très encadrée. Là, « le feu qui brûle mes veines » : l'émotion tient ferme.

Un coq-à-l'âne inhérent à un programme si copieux voit bondir deux petites suites de Bizet (les n°3 et n°5 extraites des Jeux d'enfants), exécutées sans bavure, pour une excellente détente. Au beau milieu, de battre le cœur s'arrête à savourer le lyrisme français, drôle et volubile, de Gounod, avec Depuis hier... Que fais-tu, blanche tourterelle ? Si bienvenu et original, l'air mène direct, sur la douce injonction « Qui vivra verra », à embrasser de force tout l'opéra Roméo et Juliette dont il provient. Et en effet, l'entracte tiré du même ouvrage procure un merveilleux délassement, comme un chaleureux soupir mélodique. Ainsi Gounod triomphe encore, gagne de nouveaux fidèles ou soigne son lustre à l'Opéra Comique.

Comme par miracle, restons au paradis lyrique français en revenant à Massenet pour Cœur sans amour, extrait de Cendrillon. Il est temps de chanter comme la Huitième Merveille du monde pour cette superbe scène, dans les habits du Prince Charmant... Eh bien ! l'interprétation de Marianne Crebassa s'avère une chance pour le répertoire national, tant le timbre, la projection et le verbe confinent au sublime. Sa flamme se fait éclatante et les applaudissements massifs sur la fin de l'air d'Offenbach, Vois sous l'archet frémissant (extrait des Contes d'Hoffmann, ici précédé de la célèbre Barcarolle, onctueuse). « C'est l'amour, l'amour vainqueur / Donne, poète, donne ton cœur ! » – et un autre succès pour Marianne Crebassa dès que Paris n'a pas le moral.

Toujours chez Offenbach, la voix s'épanouit dans la ballade à la lune, complainte illuminée tirée de Fantasio. Pour ces bons choix de programme, le public aime d'autant plus l'artiste. Certaines regretteront un certain effacement par la suite – dans Faites-lui mes aveux du Faust de Gounod, puis dans les brèves et inégales pièces orchestrales de Ravel – un entrechat À la manière de Chabrier arrangé par Victorien Vanoosten –, Chabrier (une lancinante Idylle élément de sa Suite pastorale), Messager (prélude de l'Acte II de Madame Chrysanthème) et Debussy (Clair de lune). Entre ces pages file la romance de L'Étoile, au charme bien portant, marqué du singulier lyrisme, possiblement vériste de Chabrier.

Contre toute menace de rancissement, Reynaldo Hahn apporte enfin une bouffée d'air frais, vivifiante et enlevée, avec l'Ouverture de sa comédie musicale Mozart servie par la phalange parisienne avec générosité et précision (au piano, notamment). De cette même œuvre, l'ariette finale « Alors, adieu donc, mon amour, le destin » traduit le goût pour l’élégante langueur du français, sur un ton franc et affectueux, dans une langue complice. Marianne Crebassa s'y livre avec gourmandise, enfin, au terme d'un long concert donné sans jamais parler au public – ses mots à elle restent cachés derrière ceux des poètes. Deux splendides bis ravéliens surplombent le magnifique édifice. Ce sont Toi, le cœur dans la rose (L'enfant et les sortilèges) et La flûte enchantée (Shéhérazade), donnés en gage d'un tout nouvel album de mélodies françaises intitulé Secrets.

FC